Les critiques de Cathy M et godspeed
Des critiques de ce qu'on veut, faites comme on le veut... :)


23.7.03  

Monday at the Hug & Pint, d'Arab Strap



Cinquième album en 8 années d’existence, Monday at the Hug & Pint marque un léger tournant dans la carrière du groupe écossais. Depuis le précédent The Red Threat de 2001, chacun a vaqué à ses occupations : Malcolm Middleton a accouché l’an dernier d’un premier album solo très touchant, Aidan Moffat a publié un album électro entièrement instrumental (sous le pseudo de Lucky Pierre) et tous les deux ont participés aux 2 albums du collectif The Reindeer Section. Une bouffée d’air frais qui semble avoir profité aux 2 compères au moment d’enregistrer ce nouvel album nettement moins renfermé et désespéré que les précédents…

Pourtant on y retrouve tout ce qui fait le charme du groupe : une musique complexe et recherchée, des textes qui débordent de déceptions et de dépréciation de soi, la voix traînante et fatiguée de Moffat, une ambiance qui sent le tabac, l’alcool et la sueur… Mais tout ça repose ici sur un mode plus ouvert, non pas tout à fait guilleret mais plus optimiste ou alors avec plus de détachement. Pour preuve, il est déjà plus simple qu’auparavant de discerner les titres les uns des autres dès les premières écoutes, les morceaux étant plus variés, avec des mélodies plus confortables, bénéficiant d’orchestrations envoûtantes (claviers, des cordes belles à pleurer, cornemuse et un petit coup de main de Barry Burns de Mogwai…).

Dès le premier titre, The Shy Retirer, ce son de boite à rythme martiale si familière au groupe paraît moins étouffant, presque dansant (limite disco) avec des cordes entêtantes, ouvrant l’album de manière accrocheuse et obsédante. Ce sera plus tard la même chose pour Flirt, et son clavier titubant ou sur le résigné Serenade ("I only go for girls I’ve got no chance with…").
Mais la vraie surprise réside plus dans des morceaux presque pop tant leurs mélodies semblent limpides et faciles à retenir, séduisant immédiatement. C’est le cas de Who Named The Days ?, jolie ballade mélancolique, soutenue par des chœurs féminins et des violons lancinants et déchirants ; Loch Leven est un splendide morceau, émouvant, au rythme apaisant, avec une intro folklorique à la cornemuse et qui arrive quasiment à nous transporter en Ecosse, sous la pluie ; le fabuleux Act of War, mise en musique du champ de bataille d’un couple, est d’une rare délicatesse, à la mélodie gracieuse et irrésistible (“If your hair was a call to arms, and your legs were what skirts are for / Then your mouth was a red alert but your eyes were an act of war…” ). The Week Never Starts Around Here (du titre du 1er album) est étonnamment minimaliste, morceau folk assez dépouillé mais dont la simplicité et la frontalité en font justement tout le charme (“Easy come, easy gone, kiss a girl then write a song. Enjoy it while you can ‘cause it won’t last long…”).

Ces morceaux ne doivent pas faire oublier pour autant qu’Arab Strap est tout de même un groupe foncièrement maussade et mélancolique. L’effrayant Fucking Little Bastards, leur morceau le plus sombre à ce jour est là pour nous le rappeler, lui qui ressemble à une boule de rancœur envers le monde entier (avec un gros pic bruitiste en plein milieu puis une envolée lyrique à la Mogwai à tomber par terre). De la même façon, l’atmosphérique Peep-Peep ou Glue (“Sex without love is a good ride worth trying but love without sex is second only to dying…”) se rapprochent du Arab Strap que l’on connait depuis longtemps, celui qui relate sans cesse ces beuveries esseulées, la crudité des soirées cul sans lendemain ou la tristesse du célibat… Mais c’est aussi là toute la beauté de leur travail, de marier ces morceaux brutaux à d’autres plus délicats comme Pica Luna, de réussir de la même façon la symbiose parfaite entre la musique concassée ou délicate tricotée par Middleton avec la poésie urbaine (et moderne) de Moffat. C’est l’une des moindres performances de cet album magnifique, le plus abouti du groupe depuis ses débuts, qui a réussi à se rendre plus accessible sans rien abandonner de son intransigeance et de ses ambitions. Soit donc un groupe qui devient un peu plus indispensable à chaque album.

posted by godspeed | 17:20 |


15.7.03  

Welcome To The Monkey House, de The Dandy Warhols



Dès la vision de la pochette, la cause semblait déjà entendue : le pastiche risquait d’être lourdaud. On s’était habitué à ce nom de groupe avec jeu de mot un peu foireux mais finalement sympathique. Mais parodier les 2 pochettes de disque les plus célèbres d’Andy Warhol (la banane du Velvet Underground & Nico couplée avec la fermeture éclair du Sticky Fingers des Rolling Stones) pour en donner une troisième toute moche, ça commence à faire beaucoup. Malheureusement, c’est aussi représentatif d’un album qui se veut certainement drôle alors qu’il inspire qu’un peu de peine…

La déception tient d’abord au fait que ce quatrième album, Welcome To The Monkey House, vient après deux disques attachants de rock plutôt brut, Come Down et Thirteen Tales From Urban Bohemia ; deux albums enthousiasmants qui nous avaient fait porter beaucoup d’espoir dans les Dandy Warhols pour la suite. Mais le groupe a voulu opérer un virage net (en forme de pied de nez ?) en injectant dans sa musique, plutôt proche de Bowie auparavant (son fidèle Tony Visconti participe même au disque), une grosse dose de pop synthétique 80’s. Résultat : un recueil de chansons des plus inégal qui traduit, dans le meilleur des cas une douloureuse panne d’inspiration, ou dans ses pires moments une indigence dure à digérer (la banane qui reste sur l'estomac, sans doute…).

C’est Nick Rhodes, ex-Duran Duran, qui tient les manettes de la production et qui pose ses gros doigts boudinés sur les synthés navrants du disque. L’album se partage alors entre morceaux faciles mais acceptables (Plan A, avec Simon LeBon aux back vocals, la classe…) ou titres plus rock et planants parfois insipides (Insincere Because I, I Am Over It, You Come In Burned : la liste est trop longue…), l’ensemble est souvent proche de l’esbroufe sans grand intérêt. Mais quand les Dandy Warhols se rapprochent un peu trop d’une pop robotique clinquante et bourrée d’effets toc (boîtes à rythme, boucles et tout la gamme 80’s…), ça devient carrément énervant, en particulier sur l’infâme The Dope (Wonderful You) et l’idiot I Am A Scientist (avec un sample d’une chanson de Bowie, comme si ça ne suffisait pas). Il est assez révélateur de remarquer sur ce titre la présence à la guitare rythmique de Nile Rodgers, ex-membre de Chic, qui avait accédé récemment à la "gloire" en participant à l’enregistrement de l’album des Whatfor de Popstars 2 : faut-il y voir la vraie généalogie des Dandy Warhols ?

Une poignées de chansons émerge néanmoins de cette mélasse : le premier single, We Used To Be Friends, excellente chanson pop concise et exubérante (avec handclapping à la clé) ; autre motif de satisfaction, la jolie ballade langoureuse You Were The Last High (écrite par l’ex-Lemonheads Evan Dando). On pourrait rajouter à ces vraies réussites 2 morceaux un peu en dessous, mais plutôt agréables : Heavenly, planant puis percutant, et le débonnaire I Am Sound.

Certains défenseurs déraisonnables de l’album clament que toute sa saveur réside en fait dans sa dérision, dans l’humour. Si c’est le cas, c’est raté quand même car ce n’est pas drôle. Et même si c’est le cas, ça ne dispensait pas les Dandy Warhols d’écrire de vraies chansons, qui font cruellement défaut ici : 3-4 titres à retenir et beaucoup de remplissage fade, ça garantit seulement à cet album quelques écoutes réglementaires, histoire de connaître les morceaux, avant de disparaître rapidement dans la rubrique (décidément bien remplie) des albums totalement dispensables de cette triste année 2003…

posted by godspeed | 16:07 |


10.7.03  

Confessions d’un Homme Dangereux (Confessions of a Dangerous Mind), de George Clooney.


George Clooney aime prendre des risques : acteur classieux et nonchalant (dans le bon sens du terme), il multiplie les choix de (non-)carrière audacieux (du moins beaucoup plus que tous ses collègues hollywoodiens), autant dans ses rôles que comme producteur aux côté de son pote Steven Soderbergh, et donc maintenant comme réalisateur. Pour son premier film, Clooney n’a pas choisi la facilité et s’est penché sur un scénario de Charlie Kaufman qui avait longtemps fait le tour des studios sans trouver preneur : l’histoire autobiographique de Chuck Barris, présentateur et producteur télé de quelques émissions "prestigieuses" et légendaires pour leur bon goût telles que The Dating Game (futur Tournez-manège en France) ou The Gong Show, et qui déclare avoir été aussi pendant ce temps un tueur professionnel pour le compte de la CIA. Incroyable mais vrai ?

Sur ce canevas au potentiel prometteur, le film de Clooney est une réussite mineure, qui ne convainc pas toujours, mais qui possède suffisamment de points forts pour laisser une bonne impression. Du point de vue de la mise en scène, Clooney s’en sort très bien pour un premier essai : sous l’inspiration directe de Soderbergh celle-ci se fait classe, inspirée, appliquée et au service de son histoire, jamais tape à l’œil, utilisant les effets à bon escient (une photo étrangement surexposée, des tons parfois au bord du noir & blanc, 2-3 scènes plus qu'originalement cadrées…). La qualité de l’illustration n’est donc pas à remettre en cause mais le film accuse parfois quelques baisses de régime, et c’est d’abord imputable à Kaufman : bien que celui-ci signe son scénario le moins énervant (le débridé Human Nature ne fait pas oublier le légèrement creux Dans la peau de John Malkovich et surtout le narcissique Adaptation), il manque un peu de cohésion : dans l’histoire d’un homme qui mène une double vie, il faut trouver une certaine alchimie entre les 2 aspects, ce qui n’est pas toujours le cas ici. Bizarrement, c’est sa vie télévisuelle qui passionne le plus, partie un peu décalée et ironique, où Barris, trublion pathétique et exubérant, enregistre les échecs puis accède à la gloire avec des émissions et des projets qui en disent long sur le niveau de la télé au Etats-Unis dès les années 70… La partie espionnage qui se déroule en filigrane, avec un Barris plus calme et maître de son tempérament, si elle joue avec les clichés du genre (avec excursion en Europe de l’Est), emballe moins car reste trop classique et raisonnable, malgré la présence récurrente de Clooney lui-même en agent recruteur. Il faut attendre la dernière ligne droite du film, quand les deux existences de Barris se heurtent pour que cet aspect du récit prenne vraiment corps, quand on peut commencer à douter de la véracité de l’histoire : Barris affabule-t-il ? Est-il complètement fou ? La brillante scène (à la réalisation inspirée) de "tempête sous un crane", où Barris péte les plombs sur le plateau télé, perdant le fil entre passé et présent, réalité et fantasme, laisse planer le doute. Bien que certains reprocheront à Clooney ne pas croire assez à son histoire et de ne pas traiter cet élément fictionnel jusqu’au bout, c’est justement l’un des points forts du film, de ne jamais pousser trop loin cette problématique, la laissant flotter en surface sans partie-pris…

Les petites réticences sont néanmoins largement rattrapées par une interprétation très solide : d’abord grâce à la sympathique Drew Barrymore, tout à fait à l’aise en petite amie de Barris, Clooney avec ses apparitions venues d’ailleurs, Julia Roberts qui n’énerve pas trop, ainsi que plein d’apparitions amicales (Brad Pitt, Maggie Gyllenhaall, Matt Damon et le revenant Rutger Hauer, qui parvient à être touchant en tueur mélancolique…). Il ne faudrait pas oublier celui qui prêtre ses traits à Chuck Barris sur une période de trente ans (sans pour autant faire son age à la fin, bizarre…) : l'extraordinaire Sam Rockwell. Autrefois tête à claques (Box of Moonlight), il avait déjà montré ses capacités à tenir un rôle principal dans le récent et agréable Bienvenue à Collinwood (déjà sous tutelle Clooney). Mais là, sa performance ressemble à une véritable révélation, en décalage constant, portant sur son visage toute l’ambiguïté d’un homme à la fois excité et terrorisé par sa double vie. Quand il ne semble pas en représentation sur scène ou en coulisses (la scène de l’empoissonnement, splendide mystification), il parait sur le point de swinguer à tout moment ou de s’effondrer sous un poids devenu trop lourd pour lui. A la vue de sa prestation époustouflante, le prix d’interprétation attribué à Rockwell au dernier festival de Berlin paraît des plus mérités. Ne serait-ce que pour cette révélation d’un corps d’acteur inédit, atypique et plein de promesses, ce premier film de George Clooney est une réussite.

posted by godspeed | 16:07 |


8.7.03  

Happy Songs For Happy People, de Mogwai.



D’abord ne pas se fier à ce titre ironique en forme de fausse piste : non, Mogwai ne s’est pas transformé en groupe guilleret et insouciant enchaînant les chansons sucrées à fredonner à tue-tête. Si le groupe a évolué depuis ses débuts, on est toujours plus près de Slint que des Shiny Happy People de REM. Certes, le post-rock noisy sur le mode calme-bruit-calme du Mogwai Young Team de 1997 est déjà loin ; la rencontre avec le producteur Dave Fridmann (Mercury Rev, Delgados…) sur les albums Come On Die Young et Rock Action a métamorphosé le groupe Ecossais, jouant toujours sur les moments de latences et les explosions dévastatrices, mais variant aussi les crescendos, gagnant en intensité et en amplitude avec des orchestrations plus riches et variées, donnant un rock instrumental à la fois extrêmement travaillé et viscéral.

Et donc pour ce quatrième album, Fridmann n’est plus aux manettes mais le groupe continue tout seul de faire sa mue vers une musique toujours tendue et intransigeante mais plus apaisée. Comme on avait déjà pu le constater lors de leur récent concert à L’Elysée Montmartre, les titres sont plus calmes, menés quelquefois par des notes d’orgues ou de piano et ponctuellement soutenus par des cordes. Les rares voix étant l’œuvre de Barry Burns, on peut se demander si le multi-intrusmentaliste du groupe n’est le maître d’œuvre derrière ce nouvel album, accomplissement logique de l’évolution de leur musique.

L’ouverture se fait avec un Hunted By A Freak de toute beauté, morceau vibrant et fantomatique, traversé par de déchirantes notes de violoncelle et une voix vocoderisée : une entrée en matière fascinante. Le titre suivant, Moses ? I Amn’t n’a rien d’happy lui non plus, évoquant plutôt une marche mortuaire, une tragédie inéluctable avec sa ligne d’orgue lugubre. Tout le contraire du splendide Kids Will Be Skeletons, aux arpéges délicats, qui s’élève tranquillement et s’éteint avec sérénité, paisiblement : Happy Songs for Happy People sera aussi un album planant, qui se déroule doucement, aux accents mélancoliques…

Arrive alors peut-être le meilleur morceau de l’album, l’implacable Killing All The Flies : le crescendo est tendu et fiévreux, explosant dans une courte bouffée d’électricité, avant de s’éteindre avec calme ; un schéma de morceau que Mogwai a déjà fait mais qui ici donne 4 minutes trente prodigieuses et exaltantes. Entouré de 2 morceaux de transition délicats et posés (Boring Machines Disturbs Sleep et Golden Porsche) se trouve le seul morceau de bravoure de plus de 8 minutes de l’album, l’ensorcelant Ratts Of The Capital, inexorable montée en puissance aux secousses électriques nerveuses…

Pour conclure cette mélodie du bonheur à la sauce écossaise, I Know You Are But What I Am (toujours ces choix de titres fabuleux…) fait se mêler d’éparses notes de piano et touches discrètes d’électronique comme un prologue vers la catastrophe. Ou plutôt vers la fin de l’album, qui s’achève admirablement avec l’énorme Stop Coming To My House, mini-symphonie aux guitares tourbillonnantes et émotionnellement chargée…

D’une concision et d’une cohésion remarquable, l’album n’aura duré que 42 minutes d'où rien ne dépasse, mais d’une impressionnante densité, demandant des écoutes répétées et attentives pour en apprécier toute la construction et les subtilités (à écouter assez fort aussi, c’est important…). Peut-être pas le meilleur album de sa carrière (on pourra lui préférer l’inépuisable Come On Die Young), Mogwai vient de réaliser avec Happy Songs For Happy People une œuvre superbe, homogène et représentative de sa diversité et de son talent : meilleur album du premier semestre 2003, haut la main…

(et pour ceux qui voudraient encore se convaincre du potentiel cinématographique et émotionnel de la musique de Mogwai, qu’ils aillent jeter un coup d’œil (et d’oreille) sur le clip du premier extrait de l’album, Hunted By A Freak, un petit film d’animation très joli mais triste à pleurer…)

posted by godspeed | 16:23 |


3.7.03  

A La Petite Semaine, de Sam Karmann.


Sam Karmann est un réalisateur qui aime les acteurs et ça se voit. Normal : il en est un lui-même. Connu de la ménagère de moins de 50 ans pour sa participation à la série télé Navarro, plus réputé pour les autres pour sa proximité de l’univers des Nuls et de Bacri-Jaoui, Karmann avait franchi le cap de la réalisation en 1992 avec Omnibus, qui avait décroché rien moins que la Palme d’Or et l’Oscar du meilleur court-métrage. Attendu au tournant, il passe au long 7 ans plus tard avec Kennedy et Moi, film honorable mais pas vraiment surprenant sur la crise de la quarantaine, qui devait beaucoup à la présence de Jean-Pierre Bacri. Ce second essai plus convaincant, A la Petite Semaine, doit donc une fois de plus beaucoup à son brillant trio d’acteurs mais bénéficie aussi d’une structure narrative plus originale.

Moins polar que chronique d’un quotidien presque ordinaire, le film suit donc sur une semaine 3 personnages, faisant le portrait d’une amitié malmenée, d’un quartier, d’une couche sociale proche de la "France d’en bas" : Jacques (Gérard Lanvin, très bien, très sobre) qui sort tout juste de prison, qui veut se ranger tranquillement malgré d’anciens complices qui le tannent ; son pote Francis (Jacques Gamblin, très bien aussi) rmiste quarantenaire qui vit chez sa mère, qui prépare de petites combines et fait secrètement du théâtre pour séduire la jeune Camille ; et enfin Didier (Clovis Cornillac, impressionnant), complice de Francis, jeune sportif grande gueule qui croit tout savoir et flambeur de mauvais augure…

En plus d’ennuyer vaguement, le début du film n’inspire pas vraiment confiance : des personnages stéréotypés (tous anciens taulards) qui discutent et refont le monde en jouant aux cartes dans un bistrot de quartier, accompagnés de dialogues qui fleurent un peu trop le bon mot d’auteur : tout ça sent un peu la naphtaline. Mais une fois que le film a trouvé son rythme, tout s’arrange et l’on s’attache à ces personnages bien brossés par un scénario co-signé par Désir Carré, qui est lui-même passé par les cases prison et théâtre ; un point de vue de connaisseur donc, qui apporte du réalisme à l’histoire et une substance bienvenue jusqu’au personnages secondaires, tous un peu à la traîne socialement mais qui essayent de prendre la vie du bon côté, de surmonter ensemble les épreuves, même si ça signifie faire de grosses bêtises peu légales qui finissent mal…

Certains reprocheront au film de ne pas avoir de scénario solide ou d'enjeu suffisant or c'est justement son propos d’enregistrer ces moments du quotidien, ces petites satisfactions et crises de la vie qui amènent à des combines peu catholiques dans l’espoir de l’embellir. Et c’est justement quand il est tout à fait libéré de la contrainte de faire avancer son histoire qu’il se montre le plus convaincant ; comme ces moments dans le cours de théâtre, les meilleurs du film, où Karmann montre un vrai sens de la durée et du plan, avec un Jacques Gamblin saisissant d’humanité. L’autre point fort du film réside dans son utilisation du non-dit, suggérant subtilement un passé et des émotions étouffées : la fêlure profonde qui oriente Jacques dans ses choix, l’attitude pathétique de Didier, loser attachant à qui on foutrait bien deux claques en toute amitié pour lui remettre les idées en place… Et puis restent les beaux portraits de femmes rapidement esquissées, celles qui doivent faire face toutes seules quand leurs hommes sont en prison, celles qui souffrent en silence et qui paraissent terriblement impuissante ou malheureuse, comme la femme de Didier ou celle du cafetier ou comme dans les très belles scènes avec la mère de Francis, regardant son fils avec un mélange de déception et d’amour, puis abattue et esseulé par la fatalité. Plus que pour son ambiance de film noir, c’est grâce à ses acteurs tous touchants et ce regard d’une grande sensibilité et de compassion que le film parvient le plus souvent à nous attendrir, en suivant ces trajectoires si singulières…

posted by godspeed | 23:14 |
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