Les critiques de Cathy M et godspeed
Des critiques de ce qu'on veut, faites comme on le veut... :)


4.5.04  

Les gens s'en vont, les écrits restent...

Cette page n'a pas été actualisée depuis un certain temps. Elle ne le sera vraisemblablement plus... Le 24 avril dernier, Cathy/Claire nous a quittés. Trop tôt. Forcément trop tôt. La connaître, c'était l'aimer. Tous ceux à qui elle manque terriblement depuis le confirmeront... Je ne pourrais même pas vous dire à quel point…
Cette page, c'était avant tout la sienne. On peut y lire en filigrane quelle femme exceptionnelle elle était, battante, joyeuse, attachante, aimant la vie et essayant sans cesse de la prendre du bon côté. C'est aussi pour sa mémoire que ce blog restera en l'état, il ne bougera plus, n’évoluera plus mais on pourra toujours y retrouver un peu d'elle, de son esprit vif, drôle, curieux et aiguisé.
Elle aurait voulu que je continue sans elle, malgré tout, mais il est encore un peu tôt pour ça. Les mots ont du mal à revenir à la surface. Alors je vais m'évaporer quelque temps. Mais je reviendrais ici ou ailleurs, tôt ou tard, sous une forme ou une autre, ne serait-ce pour que la leçon de vie qu'elle m'a donné serve à quelque chose : "Your spirit lives as you have spread the seed of love..."
Je t'aime, mon coeur. Soit heureuse où que tu sois…


"A mon ami d'en haut, on se reparlera bientôt..."
Il n'avait rien à voir avec cette page mais c'était mon ami alors j'en parlerai quand même. Lors de cette même semaine pénible d'avril, Renald est parti lui aussi. Puisqu'il était l'un de mes meilleurs amis, nos points communs, nos goûts si proches et nos discussions futiles ont certainement nourris quelques unes de mes phrases, alors il méritait bien quelques mots. Mais s'il n'a pas su exprimer davantage sa tristesse, c'est aussi parce que les mots sont vains alors je n'irai pas plus loin. J'espère que la vie est plus belle pour toi maintenant, mon ami. Salue Kubrick de ma part.


A Claire.
Et à Renald.
Vous allez me manquer.
Enormément…

posted by godspeed | 18:14 |


14.4.04  

Shara, de Naomi Kawase

Une caméra qui avance au ralenti, progressant doucement dans les méandres d’une maison, jusqu’à une cour où deux jeunes garçons nettoient leurs vêtements pleins d’encre. Tout d’un coup l’un d’eux se met à courir, l’autre le suit. Kei devant, son frère Shun derrière, imitant tous ses gestes ; la caméra les suit à la trace, à l’affût, virevoltante à travers les petites allées, passages et bosquets de la ville de Nara (ancienne capitale du Japon féodal). Et puis brusquement, au détour d’une ruelle, Kei disparaît, volatilisé, de manière presque surnaturelle ("enlevé par les dieux" suppose aussitôt quelqu’un…). Le vent souffle dans les arbres ; un son de cloche résonne ; Shun est maintenant seul.
Cette disparition, c’est la magnifique scène d’ouverture de Shara mais aussi sa scène primitive, inscrite en creux dans chacun de ses plans, visible par transparence dans les gestes ou l’hébétude de ses personnages. Le film se poursuit cinq ans plus tard mais cette absence demeure tangible : Shun, adolescent renfrogné et mutique, a maintenant dix-sept ans, vivant avec sa mère Reiko enceinte (Naomi Kawase elle-même) et son père Taku, qui prépare la prochaine grande fête de Basara ; en face de chez eux, la jeune Yu, une amie d’enfance de Shun, et sa mère Shouko. Tous ou presque laissent transparaître une tristesse diffuse, un mal-être moderne dont la disparition de Kei semble être la cause. Ce mystère, il ne sera jamais élucidé mais il aura une fin : un fonctionnaire viendra annoncer à Taku que Kei a été retrouvé, et qu'il faut venir avec lui pour confirmer (identifier le corps ?). L’heure est alors venue de faire son deuil en gardant dans sa mémoire une place pour Kei, faire le tri et "regarder les choses en face", comme le dit Taku, dont on sent qu’il ne cesse de ravaler ses larmes et sa douleur, de rester solide pour garder une famille unie.

Récit de la disparition d’un enfant et d’un deuil difficile, Shara n’a sans doute pas un scénario d’une originalité folle, sans rebondissements spectaculaires, minimaliste mais néanmoins ample, avançant à son rythme. Doublé d’une forme fluide et d’un regard délicat, le film en est poignant de vérité. Tel un personnage à part entière, la caméra filme un quotidien qui en dit plus par ses silences que par ses rares paroles. Maintenant une ambiance cotonneuse et flottante, imprimant de la durée dans les trajets ou les actes de ses personnages, la mise en scène contemporaine et fantomatique n’est pas sans rappeler celle d’Elephant, sur un mode moins théorique (Kawase avait d'ailleurs remporté la Caméra d'Or à Cannes en 1997 pour son premier film, Suzaku). Pourtant ses plans-séquences possèdent la même force, la même intensité bouleversante (la scène où Shun qui refuse la vérité sur son frère, est ceinturé par ses parents pour l’empêcher de sortir…).
Si le film observe un deuil à faire, il ne force jamais les sentiments avec un pathos déplacé. Certes, il possède son lot de micro-scènes mutiques et affectées, mais poignantes, d’une tristesse insondable, ne donnant parfois à voir qu’un Shun désemparé. Mais c’est surtout un film d’une grande simplicité, où seul compte la vie ordinaire d’une famille : où l’on s’émerveille encore de voir pousser une aubergine dans un petit potager ; où l’on révèle des secrets familiaux capitaux dans une ruelle, comme si de rien n’était, en revenant des courses ; où l’on confectionne de petites étoiles portes-bonheurs avec du coton. Le regard est compatissant, pudique, généreux, ne donnant rien d’autre à voir qu’une humanité attachante. Grâce à cela, Shara réussit à peu près tout ce qu’il tente et transcende toutes ses scènes vers un bouquet d’émotions enivrant ; que ce soit une scène de recueillement, une cérémonie funéraire ou une peinture de Kei faite par Shun, il s’agit bien de faire son deuil, apprendre enfin à vivre en paix avec un fantôme, mais c'est pourtant un souffle de vie que l’on sent, qui balaye le récit. Ou quand Taku prend le temps de faire une calligraphie à la mémoire de son fils perdu, les yeux humides, c’est l’incarnation même de la grâce qui se matérialise.



Caméra à l’épaule, gros grain, deuil et méditation, on finit par penser à un autre film japonais essentiel, le splendide Distance de Hirokazu Kore-Eda. Au-delà de la forme et du fond, Distance et Shara partagent une insolente réussite, provoquant tous deux un résonnement intime comme on en ressent rarement. Dès lors, pour peu qu’on se laisse happer et hypnotiser par le flux fascinant du film, la récompense est énorme. Pour preuve le morceau de bravoure du film, la fête de Basara avec danses de rue et musique (et qui rappelle la danse finale de Zatoichi, en plus fulgurante), scène d’anthologie et intense moment de cinéma d’une beauté incroyable ; Yu, jusqu’alors mutique et timide est alors transfigurée (bientôt rejointe par un Shun enfin libéré), à la tête des autres danseurs dans une chorégraphie exaltée qui ressemble à une transe cathartique, convoquant un retour à la vie. La pluie cataclysmique et surréaliste qui leur tombe dessus (rompant enfin avec la canicule qui les accablait) ressemble alors à une purification les lavant enfin de leur malheur.
La suite ne fera que confirmer cette résurrection progressive : une course à deux dans les ruelles de Nara qui renvoie à celle du début, sauf que celle-ci se fait main dans la main. Puis l’accouchement de Reiko, entourée de tous ses proches, tous unis dans un même souffle, scellant l’harmonie retrouvée d’une famille qui retourne à la vie. Difficile de résister devant l’image d’un Shun pétrifié par l’émotion lors de l’accouchement puis par l’apparition d’un nouveau frère qui ne remplacera pas l’autre, mais qui relance le cycle de la vie. La caméra peut alors faire le chemin inverse du premier plan du film, puis s’envoler avec légèreté dans les cieux : les fantômes sont libérés, les vivants aussi, reprenant le cours de leur vie, et le spectateur, sonné, essayera de reprendre ses esprits après un tel tourbillon d'émotions. Plus beau film de ce début d’année, un peu de la magie de Shara tient aussi au fait qu’à peine fini, on a déjà envie de le revoir.

posted by godspeed | 16:15 |


7.4.04  

La Passion du Christ (The Passion of the Christ), de Mel Gibson

Du sang, des larmes, des cris, de la douleur, de la haine et une vision manichéenne de l’humanité… voilà à quoi ressemble l’Evangile selon Saint Gibson. Porté par une polémique démesurée qui lui assure une publicité efficace (et gratuite), La Passion du Christ ne mérite même pas d’en déchaîner autant, de passions, vu sa piètre qualité, que ce soit comme œuvre cinématographique ou comme objet de culte religieux. Tout le monde l’a déjà dit, les douze dernières heures du Christ vues par Mel Gibson se résument en une série de sévices qui vont crescendo dans la violence (on a vu pire ailleurs mais celle-ci fait particulièrement mal dans sa frontalité et sa complaisance). Au programme de Jésus donc, qui ne cesse de tendre l’autre joue : trahison de Judas, passages à tabac systématiques, longue flagellation à la baguette puis au "fouet métallique" (avec de jolies gerbes de sang réalistes et des bruitages sonores ad hoc ("splosh !!")), chemin de croix interminable (pour le spectateur, où Jésus tombe lourdement (et au ralenti bien sûr) au moins 157 fois en 100 mètres pour bien insister sur sa souffrance) et pour finir la balade, crucifixion cruelle et ensanglantée (avant une minable scène finale de résurrection : on a les happy-ends que l’on mérite…). Et tout ça pour quoi ? Pour rien en gros : Mel Gibson est si sûr de ses effets tape-à-l'oeil, en rajoute tellement dans le spectacle de la violence qu’il finit par ôter tout sens à son film, toute éventuelle identification à la douleur du Christ. Sa démonstration à coups de massue (ou à coups de poings dans les tripes, c’est selon) entraîne son film vers le spectaculaire vain, sadique et fier de lui, lui ôtant tout propos, tournant à vide. Surtout que son film est dénué de toute once de subtilité ou de grâce, n'ayant pour seule ambition de cinéma que celle d'accoucher d'une Grande Figure Suppliciée…



Au milieu de ses tourments, Jésus se souvient de quelques moments de son existence ; l’occasion pour le film de dresser en flash-back une compilation peu convaincante et très superficielle de ses meilleures répliques (lors de la Cène ou ailleurs) : c’est l’un des gros problèmes du film, qui oublie complètement de mettre en valeur les enseignements de Jésus, ses sages paroles ou ses actions de foi : présenté ainsi, en laissant sa pensée ou sa doctrine dans un obscur arrière-plan, le châtiment qu'il endure manque d'impact et parait juste arbitraire : Jésus encaisse les gnons, point. L’affaire devient carrément ridicule (ou niaisement rigolote) lorsqu’il se rappelle d’une journée, près de sa mère où il construisait une table haute et que le film insinue qu’il a aussi inventé les chaises (et pourquoi pas la roue ou l’électricité pendant qu’on y est…). En fin de compte, la représentation des personnages ou des foules dans le film est très hollywoodienne, empruntant les mêmes raccourcis psychologiques (tel Ponce Pilate, pas un mauvais bougre, qui écoute les conseils de sa femme avant d’aller siéger, mais dépassé par les événements) et dialogues pompeux. On aime bien Jim Caviezel (surtout depuis son rôle inoubliable dans le chef d’œuvre de Terrence Malick (pléonasme)), La Ligne Rouge) et son investissement dans le rôle est indéniable, mais il n’a que très peu l’occasion de se mettre en valeur si ce n’est hurler de douleur et ruisseler de sang. Et dans les rôles de Marie et Marie-Madeleine, Maia Morgenstern et Monica Bellucci (au jeu toujours aussi peu subtil) sont tellement engoncées dans le registre éploré qu’elles en deviennent exaspérantes au lieu d’émouvoir… Mais ces personnages ont une place tout à fait logique dans la vision manichéenne de Gibson : d’un côté, les fidèles accablés et sages ; de l’autre, tous les autres, tous ceux qui martyrisent le Christ, ne croyant pas en lui, tous des pourris, des lâches, des salauds. Le film n’est pas antisémite comme on a pu si souvent l’entendre (la représentation des juifs est surtout à l’image du film, c'est-à-dire sans subtilité et grossière) il exècre tout bêtement le genre humain dans son ensemble, et sous couvert de pointer la folie des hommes, il ne cesse en fait de souligner l’ignominie des infidèles et des non-croyants. Ainsi les rabbins juifs qui livrent Jésus aux romains sont fourbes et manipulateurs ; les centurions romains sont sadiques, ricanants avec leurs dents pourris ; la foule est hystérique ; le roi Hérode est une folle à perruque (!?) ; Judas, immonde traître, se pend à un arbre au-dessus d’une charogne en putréfaction (on remarquera la grande finesse de la métaphore…). Et on évitera de trop s’attarder sur l’imagerie ridicule et indigente qui accompagne l’apparition de quelques diablotins ou autre ange de la mort représentant sans doute Satan (une femme au teint cadavérique et crâne rasé…).

De cette tambouille émergent parfois quelques scènes qui rappellent qu’il y avait ici matière à faire mieux de ce grand sujet : tel ici la détresse morale de Pierre qui vient de renier trois fois Jésus, ou là encore le beau personnage de l’hébreu Simon qui aide le Christ à porter sa croix. Mais tout ça se perd au milieu de cette fumisterie globalement pénible et plutôt ennuyeuse. Le fait que le film soit tourné en Araméen n’est alors qu’une sorte de caution de réalisme tout à fait artificielle puisqu’il a si peu à dire. Pour le reste on laissera aux théologiens les plus experts le soin de disserter sur toutes les inexactitudes historiques et textuelles que le film peut cumuler. Moins drôle que La Vie de Brian des Monty Python, moins (in)pertinent que La Dernière Tentation du Christ de Scorsese, La Passion du Christ n’est en fait qu’une boursouflure indigente dont l’intérêt est inversement proportionnel au tapage médiatique qu’il crée, un truc assez moche à la mise en scène lourdingue (avec abus notable de ralentis symboliques à 2€), complaisant et plutôt bête. Dieu est Amour parait-il : le film, lui, ne cesse d’exsuder la haine, au service d'une idéologie douteuse. Le comble dans cette histoire, c'est certainement que pour un film sur Jésus, tout ceci manque énormément de spiritualité...

posted by godspeed | 19:38 |


27.3.04  

The Power Out d’Electrelane.



Girl Power !!
Les 4 filles originaires de Brighton qui forment le groupe Electrelane s’étaient révélées il y a 2 ans avec un trépidant premier album, l’obsédant Rock It To The Moon. Un disque surprenant et plein d’inventivité, principalement instrumental, avec un son déjà très personnel, à mi-chemin entre post-rock et Krautrock, saupoudré d’un orgue spectral inattendu : on avait parfois l’impression d’entendre Mogwai qui aurait acheté un clavier dans l’espoir d’imiter Can en empruntant les guitares de Sonic Youth. Le titre d’un morceau pouvait résumer l’affaire : Film Music ; une musique envoûtante et étirée, au pouvoir d’évocation indéniable et forte en émotions : la musique idéale d’un film imaginaire en somme, et un album qui malgré ses défauts se transformait rapidement en disque de chevet.

2 ans plus tard donc, après un très sympathique EP (I Want to be the President) produit par Echoboy, le groupe a enregistré son second album à Chicago, sous la houlette du réputé Steve Albini. Bonne idée puisque The Power Out comble une bonne partie des hautes espérances engendrées par le 1er album, tout en allant défricher un terrain un peu différent. Première évolution de taille, l’apparition du chant sur la quasi-totalité des morceaux alors qu’il était absent de Rock It… C’est la guitariste (et leader ?) du groupe, Verity Susman, qui pose sa voix fragile, approximative mais attachante, sur des textes au fort contenu littéraire et aux langues variées : c’est d’abord le français qui est convoqué sur le Stereolab-esque Gone Under Sea qui ouvre l’album, virevoltante ballade désenchantée. Plus loin, sur la chatoyante et énergique Oh Sombra, Susman déclame un sonnet d’un poète espagnol, Juan Boscàn. Et le groupe rend l’exploit de rendre excitant un chant en allemand : sur l’extraordinaire This Deed, l’un des morceaux les saisissants du disque, Electrelane compose un morceau ample et imposant autour d’un extrait du Gai Savoir de Nietzsche qui parle de la mort de Dieu : transcendant, au minimum.

Le reste de l’album est chanté en anglais mais Electrelane continue de jouer du rock comme dans une art-school, avec son côté cérébral et avant-gardiste jamais pompeux. Ce qui n’empêche pas du culot et de l’audace, car il en faut pour accoucher d’un morceau aussi impressionnant que The Valleys, où le chant est accompagné par un chœur grégorien, lui donnant une dimension majestueuse, surréaliste et envoûtante ; une chanson splendide qui finit donc par ressembler à une cathédrale fragile devant laquelle on se recueille, les genoux flagellants. Tout en gardant une certaine ligne proche de la musique répétitive (auquel participent beaucoup le jeu de batterie "robotique" d’Emma Gaze), chaque morceau dévoile une couleur différente de la palette musicale variée du groupe. Le lascif Birds affiche un héritage venant du blues, tandis que le single On Parade, sur un format plus court et resserré, évoque plus une power pop obsessionnelle et piquante. Take The Bit Between Your Teeth est plus rock et semble taillé pour la scène avec sa longue (mais jouissive) digression de guitare dont le son garage rappelle un peu les derniers hymnes rageurs de BRMC. Pour se reposer, on peut s’assoupir plus loin sur le moelleux Enter Laughing, une charmante ballade récréative, à la tranquillité et la joliesse immédiate.

Il est alors franchement dommage de voir l’album caler un peu vers la fin, avec trois morceaux un peu moins inspirés : Loves Builds Me est un instrumental un peu vain aux touches d’électro et d’orgue, tandis que Only One Thing Is Needed et son groove hypnotique échoue à séduire totalement malgré ses rasades de saxophone. L’ultime You Make Me Weak At The Knees est un joli instrumental avec piano et percussions, mais au-delà de sa réussite on se souvient aussi que l’album précèdent se terminait sur un ébouriffant morceau de dix minutes un peu plus mémorable. Quelques réserves regrettables à l’arrivée mais qui ne doivent pas faire oublier que pour le reste, The Power Out est un brillant album varié et maîtrisé, livrant un quota non négligeable de grands moments. A défaut de livrer un album incontournable qui mettrait tout le monde d’accord, Electrelane poursuit son chemin à son rythme, en montrant encore un potentiel des plus prometteurs, qui pourrait bien accoucher de très très grandes choses : l’avenir leur appartient (ou alors le dira, ce qui revient au même).

posted by godspeed | 13:17 |


23.3.04  

Ubik, de Philip K. Dick.

Les amis, tout doit disparaître !
Nous soldons la totalité de nos Ubiks électriques, silencieux, à prix défiant toute concurrence.
Oui, nous liquidons l’ensemble de nos articles.
Et n’oubliez pas que tous les Ubiks de notre stock ont été utilisés conformément au mode d’emploi.


Ubik, c’est quoi ?
Ecrit en 1969, Ubik est le roman emblématique de Philip K. Dick, considéré comme l’aboutissement d’une œuvre abondante, où il n’a cessé de créer une Science-fiction ambitieuse, visionnaire mais toujours abordable. Adapté (après sa mort en 1982) avec plus ou moins de bonheur au cinéma (Paycheck, Minority Report, Totall Recall, Blade Runner, Screamers…), Dick faisait intervenir ici la plupart de ses thèmes fétiches et ses obsessions : des pré-cognitifs (qui peuvent donc voir l’avenir) une horde de neutraliseurs psychiques, la cryogénisation, la mixité Passé/Présent/Futur, la mort et la paranoïa d’une réalité subjective et sans cesse fuyante.

Ubik, c’est fait avec quoi ?
Difficile de résumer l’histoire d’Ubik, autant pour son apparente complexité que pour ne pas dévoiler trop du mystère d’une situation qui monte doucement, mais sûrement, en puissance. Au centre de l’histoire, la société Runciter Associates, dirigée par Glen Runciter (et sa femme Emma, en état de semi-vie cryogénique), qui loue ses équipes de "neutraliseurs" pour empêcher de nuire tous les télépathes néfastes pullulant sur la planète (ou ses colonies spatiales). Alors que nombreux de ces derniers disparaissent sans laisser de traces, Runciter accompagne une équipe pour une mission sur la lune, secondé par le fidèle Joe Chip, loser toujours fauché. Une explosion plus tard, une course pour survivre (ou pas) commence, au gré de fluctuations temporelles allant de 1992 à 1939, de New-York à Des Moines en passant par un moratorium à Zurick, alors que la réalité s’effiloche et se dessèche dangereusement.

Ubik, ça sert à quoi ?
Cette course à la survie s’assimile finalement à une quête : celle d’Ubik, sorte de cousin du fameux MacGuffin Hitchcockien. Car Ubik, c’est… il ne faut pas le dire. Disons qu’Ubik, c’est ce qui permet de fixer la réalité. Si Joe Chip, le héros principal, veut survivre, il faut qu’il trouve Ubik mais surtout ce qu’il représente, pour enfin comprendre la nature de son environnement étrange ; trouver Ubik, c’est saisir enfin ce qui lui arrive, à lui et son équipe, ce qu’ils sont devenus, comprendre enfin le phénomène qui les engloutit. La succession des interrogations et des hypothèses de Joe Chip fascine et passionne du début à la fin. Et si l’imagination de Dick excelle à présenter un futur où l’ouverture de sa porte d’entrée est payante et où on consulte son avenir sur vidphone aussi facilement qu’on regarde la télé, sa faculté à faire exister ses personnages rapidement et à les rendre attachants en quelques lignes participe beaucoup à la réussite du livre. Car si Ubik est un livre incontournable et passionnant, c’est autant pour les questions existentielles qu’il soulève (la vie après la mort, entre autres…) que pour une intrigue échevelée, menée tambour battant, qui nous parait presque trop courte. Néanmoins, la dernière page achevée, la réflexion continue, car après une ultime pirouette à la fin, on n’est plus si sûr d’avoir bien compris ce qu’était Ubik. A moins que ce ne soit l’inverse : Ubik, on n’est pas bien sûr d’avoir compris la fin…


NB : une grossière erreur s’est glissée dans Ubik : à la page 281 (de l’édition 10/18) le héros déclare "Parler d’ions négatifs est un pléonasme. Tous les ions sont négatifs". Affirmation fausse et aisément vérifiable puisque aux ions négatifs (ou anions) s’opposent les ions positifs (ou cations) Comme exemples les plus célèbres, l’ion hydrogène H+ ou l’ion Sodium Na+. Alors approximation faiblarde d’un auteur à l’esprit pourtant scientifique ou erreur de la traduction française ? Mystère…

posted by godspeed | 12:21 |


18.3.04  

Margerine Eclipse, de Stereolab



"C’est le nouveau Stereolab ?", s’exclamait avec curiosité la délicieuse Natasha Gregson Wagner dans l’adaptation de High Fidelity par Stephen Frears, au son du Lo Boob Oscillator… Et bien oui, ça y est, le nouvel album de Stereolab (approximativement le 10ème) est enfin arrivé, près de 2 ans et demi après le précédent Sound-Dust ; une attente plus longue que d’habitude pour un groupe stakhanoviste qui travaillait jusqu’à maintenant au rythme frénétique d’un album (et d’innombrables EPs) par an depuis 1991. Un attente prolongée dû à la construction de leur propre studio d’enregistrement, Instant 0, en France et surtout (et malheureusement) au décès de Mary Hansen, chanteuse en second, guitariste et membre de longue date, fauchée tragiquement par un camion lors d’une ballade en vélo fin 2002.

Margerine Eclipse aurait donc pu être un disque de deuil mais finalement pas. En surface, le seul hommage visible est sur la chanson Feel and Triple, délicate ballade où Mary est directement citée (les "goodbye, Mary" des chœurs), un chant d’adieu des plus touchants : "As much as I don’t want, I have to say goodbye / You will sing for ever like an angel who flew away…". Sur le reste de l’album, Stereolab sautille presque, ou du moins fait preuve de bonne humeur et de joie de vivre, comme pour mieux exorciser sa tristesse. Jim O’Rourke (de Sonic Youth, entre autres…) et John McEntire (de Tortoise, entre autres…) ne sont plus à la production mais le son si personnel du groupe est toujours le même, si difficile à décrire à ceux qui ne le connaissent pas, et si jubilatoire pour les autres, un son qui en a fait l’un des groupes les plus importants et influents de la décennie passée. Disons que Stereolab, c’est le croisement idéal entre la pop la plus naïve et exubérante et la musique d’avant-garde ; un mélange de pop, de lounge, d’easy-listening, de Krautrock, de sonorités électroniques festives, de bossa-nova, de jazz ou de free-jazz, de cordes grandioses et de dub simpliste, à la texture et aux différentes couches complexes et subtiles. Improbable sur le papier mais des plus abordables et originales à l’écoute, après une période d’acclimatation non négligeable. Une fois le pas franchi, plus de marche arrière : en général, Stereolab, c’est à prendre ou à laisser, on aime ou on déteste. Inutile de préciser qu’ici, on respecte Stereolab plus que de raison…

Difficile donc de décrire des morceaux aussi protéiformes, à la construction souvent alambiquée, constitués de plusieurs mouvements distincts et entrelacés, sans parler des multiples strates sonores et des arrangements. On se contentera donc d’énoncer quelque uns des titres les plus marquants de cette enthousiasmante éclipse : il faudra donc retenir le débridé et disloqué Vonal Declosion, les harmonieux et fascinants "…Sudden Stars" et Cosmic Country Noir, tous réunis dans un début d’album particulièrement réussi. A considérer aussi sérieusement, la triplette dispersée "Marge" : d’abord le court, efficace et bien nommé Margerine Rock ; plus loin, le pétillant Margerine Melodie puis le troublant Dear Marge qui conclut l’album, morceau en plusieurs tranches au final disco succulent.
Aux savantes mélodies de Tim Gane se marie la voix de sa compagne, la chanteuse (française) du groupe Laetitia Sadier. Un chant délicat qui attira souvent les quolibets mais qui participe grandement à la singularité du groupe. Sa voix fluette accompagne des textes (en anglais ou en français) qu’on trouvera au choix niais ou rigolos : les plus notables ici sont ceux de l’énergique Bop Scotch, avec ses paroles pseudo-révolutionnaires ("Au diable vos lois qui oppriment le peuple") et le charmant Need To Be avec un couplet déjà célèbre : "mon arbre est tout fleuri / Pourtant il fait encore très froid dehors…"
A l’arrivée, en troquant donc la sauce tomate pour de la margarine, Stereolab a signé son album le plus abordable et le plus libéré depuis l’important Emperor Tomato Ketchup. On pourrait regretter l’absence d’une pointe de mélancolie qui rend souvent les disques plus attachants mais le dynamisme et l’originalité sans cesse renouvelée de Stereolab rendent une fois de plus sa pop hybride tout bêtement incontournable.


Add : Puisqu’on y est, quelques mots aussi du formidable concert que Stereolab a donné hier soir au Trabendo, à Paris. Avec une formation de 7 personnes sur scène, le groupe anglais a brisé le vernis un peu intello qu’on peut parfois lui reprocher pour délivrer une prestation festive, dansante et extrêmement généreuse. En jouant une majorité de titres du dernier album, agrémenté d’une sélection de titres plus anciens (dont un épatant Lo Boob Oscillator, achevé avec 2 batteries), le groupe a sût retranscrire de façon crédible, ample et puissante toute la complexité des ambiances subtiles de ses disques, avec une énergie communicative. Tout au plus on pourra remarquer que sur certains morceaux, l’absence de Mary Hansen se fait un peu sentir à niveau des harmonies vocales. Pour conclure un splendide set de près d’1h45, le groupe a dégainé un rappel en deux temps foudroyant l’assemblé une bonne fois pour toutes (au menu entre autres, un mémorable et captivant Cybele’s Reverie, ainsi qu’un tourbillonnant Stomach Worm où Kieran Hebden (alias Four Tet, qui avait signé une première partie électro-dub sympa) est venu prêter main forte avec sa guitare). Le concert fut donc une confirmation : Stereolab est grand.
(Et pour ceux que ça intéresse, la setlist du concert est disponible ici)

posted by godspeed | 14:08 |


8.3.04  

Un garçon d’Italie, de Philippe Besson

Lorsqu’ils ont déposé le couvercle sur le cercueil, lorsque le visage de Luca a disparu, j’ai seulement pensé : voilà, j’ai vu ce visage presque tous les jours pendant cinq années, et je ne le verrai plus. J’aurais dû contempler ce visage jusqu’à la fin du monde, le monde est encore là et lui n’y est plus. J’ai eu cette pensée toute simple, que je ne sais pas énoncer autrement qu’avec des mots simples. La tristesse parfois est une régression.

Luca est mort. Echoué mystérieusement sur une rive de l’Arno, à Florence.
Luca est mort mais pourtant, de là où il est, il parle. Il décrit son autopsie, son embaumement, son enterrement. Puis de son cercueil, il revient sur ses relations avec Anna et Léo.
Anna, sa compagne, parle aussi. De son deuil. De sa douleur. De la police qui semble lui cacher des choses. De l’appréhension forcément déplaisante de découvrir bientôt les choses que Luca lui cachait.
Léo aussi fait son deuil. Seul, dans son coin, vendant son corps dans un hall de gare. Et il se souvient de ses étreintes secrètes avec Luca…

Puis, mon regard se balade sur les tombes, au hasard des allées de ce cimetière. Et, tout d’un coup, il me semble que je reçois tout le malheur des hommes, que m’est offert tout le chagrin de ceux qui ont perdu quelqu’un.

Le premier roman de Philippe Besson s’intitulait En l’absence des hommes. Celui-ci, le quatrième après les remarquables Son Frère et L’Arrière-saison, pourrait s’intituler En l’absence d’un homme. Et quand un être vous manque, tout est dépeuplé dit-on. Roman à trois voix distinctes mais enlacées, Un garçon d’Italie est encore une histoire de deuil. Pas celui auquel on se prépare, comme dans Son Frère, mais celui qui suit une mort inattendue. Douleur du vide et l’absence, chagrin insurmontable qui englobe tout, Besson propose encore une fois un texte attristé mais touchant. Dans le livre, chacun de ses proches doit continuer à exister malgré la mort de Luca, et l’enquête cherchant à élucider la raison de son décès importe moins que les secrets qu’elle va révéler : s’y montre alors l’hypocrisie de la société, la complexité des relations humaines, le jeu des apparences où chacun interprète un rôle conforme à son image ou à sa position sociale, cachant ce que l’on est vraiment. Chacune des 4 parties du roman s’ouvre avec une citation d’un livre de Cesare Pavese, Le Métier de Vivre. Effectivement, chez Besson, vivre est un métier qu’on souffre d’apprendre. Et survivre est un tourment.

Comme à chaque fois, il y a ce style Besson. Des chapitres courts (rarement plus de trois pages), ce rythme particulier, flottant, ce balancement des mots simples mais justes, ces phrases qui charrient un torrent d’émotions. Cette écriture sensuelle aussi, soulignant le frottement des corps et le croisement des sentiments. Une poésie subtile qui au détour de moments accablants s’étonne que "rendre les derniers hommages" ou "reconnaître le corps" fassent aussi bien partie du vocabulaire de la mort que du langage amoureux… D’ailleurs, ne parle-t-on pas aussi de la petite mort pour l'orgasme ? Etrange charme que possède l’écriture de Besson, qui ne cesse de livre en livre, de se faire rencontrer Eros et Thanatos dans un même élan passionné qui nous touche à chaque fois…

Ils emploieront des mots simples, des mots de tous les jours, pour parler de nous, ceux qui parleront de nous. Mais ce ne seront pas les mots qui conviennent. Non pas qu’il soit besoin de mots compliqués ou de formules alambiquées, mais il s’agit de viser juste, de ne pas se tromper. Eux se tromperont. Ils raconteront une histoire et nous en aurons vécu une autre.

NB : Merci à Cathy pour le kdo. :)

posted by godspeed | 11:40 |


1.3.04  

Paycheck, de John Woo

Du dernier John Woo, nouvelle étape d’une carrière américaine en dents de scie, il y avait tout à craindre. Suite à l’échec de Windtalkers, beau film de guerre humaniste injustement boudé (pas assez cynique pour les uns et sans doute pas assez patriotique pour des américains pas remis du 11 septembre), Woo se tourne vers une simple commande pour retrouver une position plus confortable. Le résultat est donc loin de son chef d’œuvre Volte/Face mais, heureusement, un cran au-dessus de l’insipide Mission : Impossible 2.

Adapté d’une nouvelle de Philip K. Dick, le film s’intéresse au cas de Michael Jennings (Ben Affleck), ingénieur en haute technologie, qui à la fin de chaque contrat prouve sa plus totale confidentialité en se faisant effacer la mémoire en échange d’un gros chèque. Au "réveil" d’une mission de 3 ans au service de son ami James Rethrick (Aaron Eckart), Jennings constate avec surprise qu’il aurait refusé ses millions, acceptant pour seule rémunération une enveloppe contenant une vingtaine d’objets anodins (une paire de lunettes, un briquet, une clé…). Poursuivi par le FBI et par ses anciens employeurs qui veulent lui faire la peau, Jennings n’a d’autres solutions que de faire la lumière sur son passé…
Disons-le tout de suite, Paycheck un simple divertissement, thriller de science-fiction correct mais sans plus, avec au programme son quota habituel de scènes d’action, fusillades et autres courses-poursuites. Ce qui fait son intérêt, c’est son scénario dickien, qui cultive au moins une notion intéressante, à mi-chemin de Total Recall et de Minority Report, deux autres films adaptés de Dick. Si les vingt objets dont hérite Jennings lui permettent bien (symboliquement) de reconstituer le puzzle de son passé, ils servent surtout de clés-gadgets à utiliser au bon moment, pour se sortir d’une situation donnée. Si on craint au début un coup de force scénaristique des plus scabreux, l’explication du pourquoi du comment est la vraie bonne idée du film : sans vendre totalement la mèche, disons que dans son passé effacé, Jennings a pu voir son avenir et se donner la possibilité de le changer. Futur à modifier observé dans un passé oublié à recomposer dans le présent, les trois strates temporelles coïncident en un même point, moteur de l’histoire : pour reprendre le contrôle de son destin, il faut d’abord que Jennings réassimile son passé. La réflexion du film autour de cette notion de destin, d’avenir déterminé ou pas, rappelle bien sûr Minority Report (avec d’autres similitudes telles que la lumière bleu pâle et certains décors ressemblants…), sur un mode moins poussé et ambitieux, ce qui n’est peut-être pas plus mal.



Le film n’exploite pas vraiment son idée jusqu’à bout, bouclant les explications et les enjeux dramatiques trop rapidement ; au-delà de cette thématique, il se relève sans grande originalité mais remplit honorablement son contrat. Toute proportion gardée, ça ressemble à une version high-tech de La Mort aux Trousses (surtout dans sa première moitié assez hitchcockienne), teintée de MacGyver et de James Bond. Ou alors à une série B de luxe mieux exécutée que la moyenne, avec ses moments trépidants, ses clichés, ses baisses de régimes un peu laborieuses, ses dialogues basiques et son interprétation à l’avenant pour le trio de tête : on le savait déjà, Ben Affleck manque d’épaisseur mais il a aussi été moins à l’aise ailleurs. Uma Thurman, à la coiffure atroce, hérite d’un rôle assez fade, simple quota féminin du film et Eckart celui du méchant sans relief. La marge de manœuvre de chacun est assez réduite, ainsi que pour tous les seconds rôles sous-exploités (Joe Morton et Paul Giamatti pour les plus connus), sans pour autant que le résultat soit désagréable.

Reste que pour un film de John Woo, on était en droit d’attendre un peu plus de fulgurance. S’il signe une copie soignée, elle est impersonnelle, très loin de la vivacité qui caractérisait ses meilleurs films, souffrant de l’absence des enjeux tragiques et virils qui animaient ses précédents héros. D’un réalisateur de son talent et avec ses faits d’armes, on demandera toujours des projets plus ambitieux que celui-ci. Ici, sa patte n’est visible que par intermittence : lors d’une poursuite en moto étirée, au découpage impeccable, ou bien encore lors du final (un peu longuet) dans le labo à la gestion de l’espace caractéristique. Les plus moqueurs souligneront surtout le sentimentalisme naïf qui est aussi l’une de marques de fabrique tandis que les fans trépigneront à l’apparition de la traditionnelle colombe… Impersonnel, un peu lisse, Paycheck parait alors légèrement vain malgré sa bonne tenue. A l’image de son héros (les plus intrépides se chargeront de relever les parallèles avec le cinéaste), John Woo ferait bien, pour la suite, de se souvenir de son glorieux passé s’il veut redorer son blason dans un avenir encore incertain…

posted by godspeed | 11:25 |


29.2.04  

Les Rivières Pourpres 2 - Les Anges de L'Apocalypse, d'Olivier Dahan

Aller voir certains films juste pour se moquer, en sachant pertinemment qu’ils vont être nuls, c’est mal ; il y a trop de films intéressants à voir pour perdre ainsi un temps précieux ; et puis aller au cinéma avec cynisme et un avis préconçu, c’est nul. Alors oui, je plaide coupable. Mais bon, là, l’affligeante bande-annonce annonçait un tel cocktail improbable, une telle avalanche de n’importe quoi (des moines-ninjas-yamakasis ??) que le film semblait mériter un coup d’œil juste pour s’assurer que l’on n’avait pas rêvé…
Et donc pas de surprise, Les Rivières Pourpres 2 est ce qu’il semblait être, c'est-à-dire un navet de compétition, intégralement nul, mais aussi fascinant du début à la fin tant il donne à voir de façon quasi-comique l’impasse auquel est confronté un certain cinéma français quand il veut copier les blockbusters américains. Tout le film pourrait être résumé par ces 2 lignes du générique : "Scénario et dialogues : Luc Besson". Et là, tout est dit ou presque. A son habitude, sieur Besson nous livre une tambouille mal cuisinée et prompte à satisfaire les moins exigeants, une pale et indigente resucée de thrillers américains, accumulant maladroitement les clichés les plus éculés sur fond d’intrigue approximative et de dialogues navrants. Puisque ça s’appelle les Rivières Pourpres 2 et que c’est une suite purement mercantile (on remarquera que le titre ne veut vraiment plus rien dire), on retrouve l’inspecteur Niémans (Jean Reno, dont le jeu paresseux et flegmatique devient ici presque une qualité) qui doit enquêter sur une série de meurtres à caractère religieux gravitant autour d’un mystérieux monastère, accompagné dans ses recherches par un ancien élève, Reda (Benoît Magimel, presque admirable dans sa débauche d’énergie). Et donc là-dessus, on brode comme on peut, dépouillant sans vergogne le Se7en de Fincher : on remplace les 7 Péchés Capitaux par les 12 Apôtres et on copie quelques scènes marquantes (le spectre IR sur le mur, la poursuite à pied étirée jusqu’à épuisement, un petit topo de « théologie-pour-les-nuls » dans une bibliothèque). On y ajoute donc un mysticisme bon marché et autres bondieuseries indigentes, et on va chercher les méchants à l’étranger (une habitude chez Besson), ici des allemands néo-nazis. L’ensemble est un modèle de scénario bâclé et paresseux sous-exploitant ses bonnes idées potentielles (l’utilisation de La Ligne Maginot dans un décor qui change de d’habitude, l’Alsace-Lorraine), multipliant les raccourcis faciles jusqu’à l’invraisemblance…
Encore, si le film fournissait un bonne dose de divertissement bien senti, on pourrait passer outre. Mais non, même les scènes d’actions font pitié. Olivier Dahan confirme ici ce que l’on pouvait déjà deviner après un Déjà Mort bancal ou un Petit Poucet en carton-pâte, à savoir qu’il est un plasticien compétent mais pas un cinéaste : l’imagerie du film, gothique, baroque et rouge sang est plutôt réjouissante mais dès que l’action s’excite un peu (voir l’atroce fusillade vers la fin) la caméra et le montage pratiquent l’épilepsie facile et absurde, fichant surtout mal aux yeux et aux oreilles. Seules deux scènes totalement gratuites et vaines sont à sauver : la longue course-poursuite pompée sur Se7en et Point Break, ainsi que la baston Magimel/Joe Prestia, assez brouillonne mais sur l’air du I Wanna Be Your Dog des Stooges…



Pour le reste, rien ne fonctionne dans ces Rivières Pourpres 2, tout sonne terriblement faux : quand l’enquête est bloquée, les personnages réfléchissent de façon très concentrée, et démontrent leur fantastique perspicacité en trouvant une solution d’un coup de baguette magique (on échappe de justesse au mythique "mais c’est bien sûr !!!"). Et histoire de les aider un peu, un personnage passe toutes les dix minutes pour annoncer "qu’il a trouvé quelque chose"… Ou alors quand ils sont énervés et paumés, ils tapent très fort sur une table ou un mur en s’écriant de manière très convaincante un truc du genre "c’est quoi ce bordel ??!!" : il faut le voir pour le croire (ou pour ne pas y croire en l’occurrence…). Tout comme on a du mal à croire que la pourtant mignonne Camille Natta, qui interprète la flic spécialiste en sciences religieuses et qui accompagne les 2 héros dans leur enquête, puisse jouer aussi mal : en plus de ses répliques bien ridicules, chacun de ses gestes, sourires ou même bâillements semblent surjoués au possible, un vrai calvaire…
Mais bon, à ce petit jeu, elle n’est pas la seule à ramer, la majorité des seconds rôles assure le service minimum (on n’avait pas vu Serge Riaboukine aussi mauvais depuis longtemps…) et les participations amicales de Johnny Hallyday et Gabrielle Lazure font peine à voir, dans des scènes assez improbables du point de vue de la narration, paraissant des plus artificielles. Mais la palme revient certainement au mythique Christopher Lee, apparemment perdu (ou avec des impôts à payer, comme les autres) dans un rôle de méchant inexistant, d’une fadeur absolue, écrit sur du vent, coup d’esbroufe du film consistant seulement à montrer une star qu’il ne mérite pas…
Faut dire que tout ce beau monde est bien aidé par la science du dialogue de Luc Besson, dotée d’une subtile pointe d’humour que ne renierait pas Max Pecas. Un petit exemple de réplique servie ad hoc par un policier après avoir percuté en voiture un simili Jésus : "Eh Jésus, faut rester dans les clous !". Drôle, non ? Allez, encore une autre, lors de la 1ère rencontre Magimel/Natta au chevet du malade : "- Bonjour, je m’appelle Marie. - Ca tombe bien, je vous présente Jésus". Drôle, non ? La réplique la plus marrante du film (du moins ma préférée) est pourtant involontaire, où après une heure de film, Jean Reno s’exclame en consultant ses notes et avec le plus grand sérieux : "ces meurtres sont orchestrés !!". Euh, oui, mais bon, ça paraissait évident ça, non ?

Au-delà de sa nullité, on peut d’ores et déjà constater une certaine constance dans cette triste franchise avec des conclusions en dessous de tout : le faible premier volet enterrait ses monstrueuses incohérences avec une avalanche de circonstance dans les Alpes, c’est ici une inondation dans des sous-sols qui permet de noyer le poisson. Un troisième volet étant déjà annoncé, espérons qu’un tremblement de terre engloutisse une fois pour toute cette vilaine série et que l’on n’en parle plus : les blagues les plus courtes sont tout de même les meilleures…

posted by godspeed | 18:10 |


16.2.04  

The Earth Is Not A Cold Dead Place, d’Explosions In The Sky



The Earth Is Not A Cold Dead Place

Tout commence par une guitare cristalline, égrenant quelques notes résonnant dans le vide démesuré de l’existence. Puis des battements de cœur émergent de l’obscurité. Une pulsation qui s’éveille et s’impose doucement. Puis une autre guitare dispense ses arpéges, s’entrelaçant dans la mouvance précédente. La batterie résonne, déroule et roule tel un tambour. Le tout s’harmonise et c’est le début de 45 minutes de musique uniquement instrumentale mais bourrée d’émotions variées et intenses, comme seuls quelques groupes de post-rock savent en procurer. Ce premier morceau dans son ensemble pourrait être assimilé à une renaissance, à un nouveau départ, un lever de soleil après la bataille, un espoir qui jaillit des décombres encore fumantes. Et pas uniquement à cause de son titre : First Breath After Coma. L’album précédent du groupe, Those who tell the truth shall die, Those who tell the truth shall live forever, était sorti à peine une semaine avant le 11 septembre. Et le dernier titre du disque s’intitulait de manière prémonitoire Plane Will Crash Tomorrow… Dans l’intervalle la noirceur s’est dissipée, la colère s’est ravalée et la reconstruction a démarré, lentement, patiemment. Par étapes. En alternant chevauchés étourdissantes et interludes apaisants. Mais au bout du chemin subsiste cette persistante sensation d’espoir, que tout peut recommencer, repartir à zéro et que ça sera beau. Que d’entres les nuages obscurcissant le passage vers l’avant, la lumière semble enfin percer pour nous laisser percevoir l’espoir. L’espoir…

The Earth Is Not A Cold Dead Place

Evoquant aussi bien les écossais de Mogwai et les Canadiens de Godspeed You ! Black Emperor, les Texans de Explosions In The Sky reprennent les traditionnelles formules du post-rock (alternance de crescendos dévastateurs et de plages mélancoliques) avec une puissance émotionnelle rarement entendue dans le genre. En effet, difficile de rester de marbre à l’écoute de The Only Moment We Were Alone, morceau de dix minutes à tomber par terre où chaque changement de rythme déchire le cœur ; un segment poignant, où chaque succession d’accords serre la gorge. Entre faux aplats et vraies pulsions libératrices, ce seul moment où nous étions seuls se vit comme un moment intense car unique, la tête baissée, à toute allure. Un morceau beau à pleurer, vibrant à perdre le souffle, perdu dans l’extatisme de l’instant, l’électricité devient alors le conducteur d’une émotion contagieuse…

The Earth Is Not A Cold Dead Place

Suit alors Six Days at the Bottom of the Ocean, ballade aquatique protéiforme aux changements de rythmes multiples. Bulles d’air apaisantes, plongées asphyxiantes, courants porteurs et vagues fracassantes. Quelques notes lumineuses qui éblouissent un monde de silence. L’infime perturbation de la sérénité avant de s’échouer dans les abysses, montagnes de calme apaisant. Tombés au combat dans l'espoir de trouver le repos, l’heure est alors à la commémoration. Memorial. La langueur se mêle alors au lyrisme pour le morceau le moins mémorable d’un disque pourtant exceptionnel. Le seul où la répétition d’une instrumentation minimale se fait sentir, alors qu’ailleurs elle fait des prodiges…

The Earth Is Not A Cold Dead Place

Mais peu importe. Peu importe un minime faux-pas quand le meilleur est à venir. Quand les frissons nous reprennent par la simplicité d’arpéges enchanteurs. Quand ta main dans la mienne me fait oublier tout le reste. Your Hand in Mine. Ta main dans la mienne et plus rien ne compte. Ou seulement l’instant présent. Et ce qui nous attend. Ta main dans la mienne et l’espoir perdu revient s’imposer, s’élevant à partir de trois fois rien mais de façon implacable. Une fin en apothéose qui n’en finit plus de déchirer le cœur. Une montée, encore et toujours, vers l’inaccessible, où seule compterait l’émotion pure d’une musique immaculée, détachée de tout le superflu, de tout cynisme. Une musique comme elles devraient toutes être : belle et passionnée…

The Earth Is Not A Cold Dead Place

Pourquoi ? La réponse est cachée dans le boîtier du cd :
"because you are listening".
Tout simplement.

posted by godspeed | 15:07 |


14.2.04  

Léo, en jouant « Dans la compagnie des hommes », d’Arnaud Desplechin

"Je ne veux pas que vous me donniez autre chose que votre inimitié... S'il vous plaît, soyez mon ennemi. Inimitié et haine ! Je m'épanouirai sur ce que vous pouvez faire de pire ! Plus vous me jetterez de pierres, plus j'en aurai pour vous enterrer ! Je vous aiderais, je vous donnerais toutes les bonnes raisons de me haïr…"

Desplechin, acte IV, scène 1.
Léo, en jouant « Dans la compagnie des hommes », quatrième long-métrage d’Arnaud Desplechin, émerge d’une genèse au moins aussi compliquée que son titre à rallonge. Produit dans l’ombre d’un autre film à venir (Rois et Reine, à sortir en fin d’année), séparation initiale entre deux formes distinctes (documentaire sur les répétitions et film), présentation d’une copie de travail à Cannes puis remontage pour finalement aboutir à un seul film hybride. Et diffusion sur Arte la veille de sa sortie dans une seule salle parisienne. Sans s’attendre pour autant à voir un film malade, sa finalisation semble à ce point tortueuse que l’on pouvait craindre un beau ratage, alors que ce Leo… est en fait un film assez fascinant.

Il y a quelque chose de pourri au royaume… des marchands d’armes.
Dans ce titre à triple entrée, la 1ère chose à retenir est le nom de la pièce dont ce film est l’adaptation : Dans la compagnie des hommes donc, pièce de théâtre de l’anglais Edward Bond, dramaturge contemporain mais shakespearien au possible. De toute façon, difficile de ne pas penser à Hamlet ici, dans cet univers clos et pourri de l’intérieur. Au coeur de ce drame, les entreprises Jurrieux, spécialisées dans l’armement. Au moment où son père adoptif vient d’échapper à une OPA, Léonard, fier, ambitieux et impatient de faire ses preuves, manœuvre en cachette pour prendre le contrôle d’une petite entreprise en faillite. Début d’un engrenage où entre jeux de dupes, lutte de pouvoir, conspirations, faux-semblants et mensonges, tout ne peut que mener à une tragédie…
Du strict point de vue de l’adaptation, le film de Desplechin est déjà une réussite. Bien que concentrant l’action en une poignée de lieux (la propriété des Jurrieux principalement), nous sommes à des années-lumière d’un banal théâtre filmé grâce à la fulgurance de la mise en scène où la caméra à l’épaule, dynamique et proche des protagonistes, imprime un mouvement perpétuel au récit. Certaines digressions spatiales (voiture, bois, sous-marin) ou narratives (le flash-back sur la mère de Léo ou les histoires du domestique Jonas) aèrent certes l’histoire mais le plus passionnant est dans la matière même de la pièce, drame puissant aux dialogues superbes et marquants. Transposée de Londres à Paris, c’est d’abord une fenêtre grande ouverte sur les milieux capitalistes, sur la lutte entre hommes d’affaires prêts à tout et inhumains, où trahisons et arrivisme détruisent son prochain ou soi-même, dans un monde en guerre perpétuelle. Mais c’est aussi et surtout l’histoire d’une homme, Léo, écartelé entre son ambition et son amour pour son père, puni pour sa fierté et son innocence, figure tragique et shakespearienne (Hamlet, c’est lui), piégé dans un univers qui broie les plus faibles, sombrant dans la déchéance en emportant tout avec lui…



Deuxième élément du titre, le « en jouant » ; c’est l’aspect documentaire du film, Desplechin insérant régulièrement (en s’amenuisant tout du long néanmoins) des extraits des répétitions filmées en DV : discussion autour de leurs rôles, acteurs se frottant à leurs monologues dans un entrepôt désert, appréciations et commentaires du metteur en scène… C’est un aspect du film qui surprend un peu au départ, mais qui se fond totalement dans son rythme, au gré parfois de raccords brusques au sein d’une même scène. Plus que l’aspect caché d’un travail théâtral qui passionne visiblement Desplechin depuis le précédent et splendide Esther Kahn, cette vérité nue d’un travail qui se construit petit à petit sert aussi de mise en perspective de la comédie humaine qui se trame dans la pièce de Bond : ces acteurs qui se fondent dans leurs rôles, jouant un personnage, souligne justement le mensonge profond de ces derniers dans l’histoire, qui n’ont de cesse de se cacher derrière des masques…
C’est lors d’une de ces répétitions que l’on entend Desplechin s’écrier que « ça manque de filles ! ». Beauté du work-in-progress qui voit alors l’apparition d’une Ophélie tout droit sortie d’Hamlet pour féminiser tout ça et filer encore un peu plus la métaphore shakespearienne. Anna Mouglalis, mal à l’aise, minaudante, fait ce qu’elle peut mais ne peut transcender l’artificialité d’un personnage qui s’affiche comme tel, bancal parce que n’ayant aucun réel poids dans le drame qui se noue. Cette maladresse n’est même pas un défaut au sein d’un film qui semble trop intelligent et risqué pour afficher une faiblesse comme celle-ci sans pouvoir s’en remettre. D’autant que le reste de la distribution est magistrale. Il y a Jean-Paul Rousillon, imposant patriarche épatant de force débonnaire ; Laszlo Szabo (dont c’est déjà la 3ème collaboration avec Desplechin) aussi fidèle bras droit que honteux comploteur mû par la cupidité ; ou encore Wladimir Yordanoff, souvent vu aux côtés de Bacri-Jaoui et ici étonnant en figure machiavélique blafarde et fantomatique.
Il y a aussi Hyppolyte Girardot, qui emporte le film à chaque apparition : grotesque et flamboyant, PDG déchu, loser, joueur et alcoolique, honteux de sa propre duplicité mais bouffon magnifique, chacune de ses scènes, chacune de ses répliques est un régal, en particulier sa confrontation avec Léo, sur une estrade de fortune, lui renvoyant à la figure sa propre culpabilité ("c’est cruel d’être innocent à ce point…").
Il y a la révélation Bakary Sangaré, acteur d’origine malienne, pensionnaire de la Comédie-Française, comédien shakespearien dans les mises en scène de Peter Brook ; ici, il est Jonas, ancien militaire passé en court martial devenu domestique des Jurrieux, témoin de la conspiration et de la folie des hommes, lui-même un peu fou et porteur de mensonges, de secrets et d’histoires non pas dans le ventre d’une baleine mais dans celui d’un sous-marin, faux frère et vrai damné, victime des agissements des forts jusque dans leur pulsion de mort…

Et finalement, il y a Léo. Celui qui rassemble tous les fils, que ce soient ceux narratifs, reliant ainsi tous les personnages ou ceux du titre, permettant la fusion limpide en un seul film d’un triple courant cinéma / théâtre / documentaire. Un film exigeant et malaisé certes, dans son pessimisme et l’antipathie que provoque ces hommes. Mais un film ambitieux et résolument moderne, animé d’une énergie déconcertante, objet hybride aux niveaux de lecture multiples, fascinant de bout en bout comme on en voit si peu dans le paysage cinématographique français actuel.
Léo. Léonard. Hamlet. Magnifique personnage tragique d’un fils qui en vient à vouloir tuer son père plutôt que de le décevoir. Un fils anéanti dans son âme, auquel Sami Bouajila, exceptionnel et bouleversant, lui donne une intensité dont on ne le savait pas capable. L’étonnante réussite de ce Léo…, œuvre complexe et admirable, lui doit alors beaucoup pour cette impressionnante incarnation…

"J'ai dit que je ne t'avais pas tué, père. C'est un mensonge… Tu es mort. Et moi aussi... Tu te promènes et tu respires mais je t'ai tué… J'ai pénétré à l'intérieur de ta peau. C'est là que je suis assis à présent - et tes os sont en moi comme s'ils avaient été emballés dans le mauvais paquet. Je t'ai tué pour te démontrer que j'étais capable de prendre ta place… J’ai gagné le droit de prendre ta place, je peux vivre pour toi. A qui d'autre pouvais-tu confier ta compagnie sinon à un assassin ?"

posted by godspeed | 10:02 |


11.2.04  

Give Up, de The Postal Service



Imaginez que les allemands de The Notwist aient un cousin caché aux Etats-Unis. Imaginez que sa musique électronique un peu abstraite mais limpide, aux accents pop prononcés et charmeurs, à l’écorce sensible et romantique, trouve son pendant dans un autre projet de l’autre côté de l’atlantique. Imaginez que le formidable Neon Golden trouve son complément dans un autre disque tout aussi enthousiasmant. Alors vous aurez une petite idée des menus plaisirs que distille Give Up, premier album de The Postal Service…

The Postal Service est le fruit de la rencontre entre deux hommes : Jimmy Tamborello, tête pensante du projet électro Dntel, et Ben Gibbard, leader d’un groupe nettement plus indie-rock, Death Cab For Cutie (dont le dernier album, Transatlanticism, vaut lui aussi le détour). Leur premiere rencontre sur l’album Life is Full of Possibilities de Dntel avait accouchée d’une jolie chanson, (This is) The Dream of Evan and Chen. Les deux hommes décidèrent alors de réaliser un album complet, collaborant principalement par mails (d’où le nom du groupe), où Gibbard rajoutait textes, voix et guitares aux boucles électroniques de Tamborello.

Si l’on pouvait craindre quelque chose de totalement artificiel compte tenu de son mode de réalisation, le résultat est une indéniable réussite, une pop synthétique mélodique et sensible. Les 2 premiers morceaux du disque (qui sont aussi les 2 premiers singles) donnent le ton. Sur le mélancolique The District Sleeps Alone Tonight, les boucles électroniques se superposent et s’enchaînent sur un rythme soutenu, agrémentées d’un sample discret et délicat de cordes. En plus d’un petit solo de guitare cristalline, Gibbard, avec sa voix douce et touchante, chante un texte inspiré où le sentiment de solitude urbaine domine : "I’m staring at the asphalt wondering what’s buried underneath where I am […] I am a visitor here ; I am not permanent". Sur Such Great Heights, la formule est quasiment la même sauf que les boucles paraissent un peu plus fouettées ; les paroles quant à elles poursuivent la même veine qui parcourt la majorité des chansons, se penchant sur les joies ou petits tracas amoureux au travers de situations ou d’images simples mais symboliques ("it’s thoughts like this that catch my troubled head when you’re away, when i am missing you to death").

La meilleure chanson du disque est sans aucun doute Nothing Better, un duo entre Gibbard et la chanteuse Jen Wood : lui se lamente sur son cœur brisé et semble prêt à tout pour faire revenir sa copine (et là, refrain qui tue : "tell me am I right to think that there could be nothing better / That making you my bride and slowly growing old together"). Sa copine intervient alors pour rétablir la vérité et lui demander d’arrêter de se plaindre s’il veut guérir ("your heart won’t heal right if you keep tearing out the sutures"), et que quoi qu’il fasse, c’est définitivement fini entre eux deux ("you’ve got a lure i can’t deny, but you’ve had your chance so say goodbye") ; entre naïveté et cruauté, avec des beats synthétiques un peu dépassés et quelques cordes, la chanson est une petite merveille que l’on écoute en boucle sans jamais réussir à l’épuiser totalement…

Naïveté, c’est certainement le mot qui résume le mieux l’humeur dominante du disque, anthologie de petites ritournelles confortables et touchantes. Certes, il y a certains moments plus sombres, comme sur le très réussi This Place Is A Prison, un morceau plus atmosphérique mais surtout inquiétant à souhait, où l’obscurité semble rampante et en pleine expansion. Mais les chansons candides gardent la main, dont l’évidence mélodique est des plus agréables : on se laisse dériver avec plaisir et légèreté sur Recycled Air, jolie ballade en apesanteur ("my head’s a balloon inflating with the altitude…") ; on tourbillonne aux cotés d’orgue et d’accordéon sur le virevoltant We Will Become Silhouettes. Sans oublier l’excellent Brand New Colony, morceau dynamique et entêtant, avec quelques sonorités là aussi un peu datées mais charmantes, quelques chœurs féminins, et la voix de Gibbard qui se fait particulièrement vibrante et touchante lors du refrain : "I want to take you far from the cynics in this town and kiss you on the mouth / We’ll cut our bodies free from the tethers of this scene, start a brand new colony…"

Seules quelques petites vignettes fonctionnent moins bien que les autres : Sleeping In, petite ballade candide, qui surprend néanmoins par son couplet sur JFK ; le vain Clark Gable, de très loin la chanson la moins intéressante du disque ou encore Natural Anthem, magma sonore aux trois-quarts instrumental pas renversante. Tout ceci reste un maigre motif de réclamation au sein d’un joli album touchant de naïveté et mélodiquement attachant (il suffit de réécouter Nothing Better encore une fois pour s’en convaincre). Ce ne fut sans doute pas le disque le plus médiatisé de 2003, mais ce fut certainement l’un des plus méritants. Un disque qui fait du bien...

posted by godspeed | 10:00 |


25.1.04  

Super Furry Animals à la Maroquinerie (23/01/04)

En Angleterre, les Super Furry Animals jouent dans les salles de concert les plus prestigieuses. En France, étrangement, ils peinent à remplir une salle de taille modeste comme la Maroquinerie... Succès d'estime plus que commercial, le groupe gallois n'arrive pas à imposer ici sa pop inventive, débridée et énergique, se maintenant pourtant à un niveau d'exigence et de qualité peu égalée depuis près de dix ans. Tant pis pour les durs d'oreilles, ça permet au moins de les voir dans une salle de taille humaine...

Double première pour moi ce soir là donc : découverte de la salle de la Maroquinerie, sorte de demi-Cigale avec poutres qui obstruent la vue (précédée d'une recherche compliquée de la dite salle, où après m'être à moitié perdu dans le quartier (avec un plan, le comble), je fus obligé de grimper rapido la rue de Ménilmontant, petite côte d'une pente d'au moins 10 % : épuisant). Mais surtout, première rencontre avec les SFA sur scène, l'un des mes derniers groupes cultes à bénéficier de ma prestigieuse présence (après Mogwai, Elliott Smith, Spiritualized, Joseph Arthur et Primal Scream, le grand chelem est presque atteint). Grosse attente donc...

Vers 9h absolument pas pétantes, les 5 membres du groupe rentrent sur scène. Curieusement c'est avec Slow Life, le dernier titre du dernier album (le formidable Phantom Power) qu'ils débutent le concert. Au milieu de ce titre pop agrémenté d'électro et de cordes, le chanteur Gruff Rhys (à tes souhaits) s'absente et revient avec une sorte de casque géant de Bioman sur la tête et reprend le chant comme si rien n'était, en collant son micro dans l'une des ouvertures du casque au niveau du front !! Un début délirant qui donne un aperçu de l'humour des SFA. La suite se déroule sans encombre avec des titres anciens comme les enlevés et pétillants Demons et (Drawing) Rings Around The World ou certains de leurs classiques ultra efficaces et effrénés tels God ! Show Me Magic et Do or Die.

Il faudra néanmoins un peu de temps pour que le groupe trouve son rythme de croisière et se lâche complètement, dialoguant un peu plus avec le public (et Gruff, dans un français des plus improbable, de traduire The Piccolo Snare en "Le Snare Piccolo"...). Exemple révélateur : un spectateur demande au groupe de jouer le rigolo Mario Man ; Rhys approuve et l'indique à ses 4 camarades de jeu ; il commence alors à chanter les paroles de Mario Man... sur la musique de Bleed Forever (le morceau prévu sur leur liste en fait) !! Belle facétie puisque après 2 couplets, la plaisanterie prend fin sans pour autant s'arrêter de jouer et le groupe enchaine limpidement sur le reste de Bleed Forever. Pendant tout le concert, des projections sur un écran derrière le groupe permettent de poser une ambiance adéquate ; le plus souvent il s'agit d'images psychédéliques variées mais sur certains morceaux tels l'apaisé Hello Sunshine, le fracassé et jouissif Receptable for Respectable ou Liberty Belle (joyau pop incontournable), ce sont de charmants petits clips d'animation que l'on peut apprécier, tirés des oeuvres de Peter Fowler, l'artiste qui signe tout l'univers visuel des derniers disques du groupe :



Par la suite, le groupe jouera une majeure partie du dernier album (Golden Retriever, Cityscape Skybaby, The Piccolo Snare), ainsi que quelques morceaux de Rings Around The World (l'épique Run ! Christian, Run ! ou Juxtaposed With U) ou de Radiator (les bombinettes The International Language of Screaming et Hermann Loves Pauline). Malgré une formation assez resserrée (basse, batterie, 2 guitares et clavier), les SFA réussissent le plus souvent à dégager une musique ample et spacieuse sur les titres les plus imposants, tout en faisant preuve d'une fraîcheur et d'un dynamisme impressionnant sur ceux plus pop.

Pour conclure, le groupe choisit une triplette de morceaux incendiaires. C'est un Out of Control terrifiant de puissance, à 3 guitares, qui ouvre les hostilités, suivit de près d'un Calimero nettement plus énergique que le poussin qui donne son nom à la chanson. Là, le calme se fait avant qu'une voix-off déclame en boucle "all gouvernments are liars and killers" puis de voir la phrase traduite en français défiler sur l'écran au milieu de photos de chefs d'états tels que George W. Bush ou Tony Blair. C'est le moment rêvé pour entamer le mythique The Man Don't Give a Fuck, toujours aussi efficace. Le groupe quitte alors la scène, sauf le claviériste bidouillant son pc pendant un interlude techno sympa mais un peu saoulant au bout de dix minutes. Le groupe revient alors... déguisé en "animaux super poilus", sortes d'énormes yétis rigolos. Incapable de réellement jouer avec de tels costumes, ils lèvent leurs guitares en signe de ralliement ou font semblant au son de The Man Don't Give a Fuck avant de partir définitivement avec le sentiment du devoir accompli...



A l'arrivé, tout en étant éminemment sympathique et enlevé, le concert manquait peut-être d'un petit quelque chose pour être vraiment exceptionnel (l'apathie d'une bonne partie du public n'aidant pas beaucoup non plus). Si on peut regretter l'absence de tout morceau de Mwng, leur excellent album en gallois, les SFA se sont montrés fidèles à leur réputation, fournissant une prestation plaisante et pleine d'énergie, prouvant si besoin est que leur discographie est remplie de disques impeccables et de chansons savoureuses, à écouter en boucle...

posted by godspeed | 16:48 |


15.1.04  

Up The Bracket, de The Libertines.



Il faut parfois laisser le temps à un disque de venir jusqu’à vous (proverbe chinois (ou tibétain, j’ai un doute)).

- Et sinon, dans les albums qui m’ont marqué récemment, il y a celui d’Interpol…
- Turn On The Bright Lights ? Oh oui. Enorme. Je suis entièrement d’accord.
- Et dans le genre excellent pour taper du pied en écoutant du rock sympa, il y a The Libertines…
- Euh…
Silence gêné.
Si ce n’est pas malheureux ça ; on ne croise pas quelqu’un pendant des mois et quand on le revoit, il semble lobotomisé… The Libertines ?? Non, non, non et non. L’album était sorti fin 2002. Les critiques s’étaient extasiés dessus. Ecoute réglementaire de découverte à l’époque. Et puis plus aucun souvenir. Ca passe par une oreille, ça ressort par l’autre. Un groupe en "The" de plus…
Il avait dû se tromper, ce n’est pas possible… alors tiens, une nouvelle tentative, juste pour lui prouver qu’il a tort. Première écoute : mouais gentil mais bon… Deuxième écoute : bon d’accord, il y quelques passages vraiment sympathiques… Troisième écoute (suivi instantanément de la quatrième) : je commence à chantonner. Ca y est, c’est trop tard, le piége est refermé, la drogue agit et l’accoutumance est créée. Conclusion : The Libertines, c’est bien. Ca fait du bien à la tête. Ca fait du bien aux jambes. C’est un disque de rock comme il y en a trop peu de nos jours, en fait. De ceux qu’on peut écouter 4 fois de suite juste pour le plaisir et sans se lasser.

Mais reprenons au début : il y a quoi dessus ? Seulement des chansons. Des bonnes. Des courtes (3 minutes en moyenne). Enlevées. Canailles. Crâneuses. Efficaces. And sooooooooo cute… Avec des solos crados et un brin con sur lesquels on fait du air guitar en pliant les genoux. On chante à tue-tête, on sautille, on tape du pied… bon sang, c’est ridicule, à croire qu’on a 15 ans…
Pourtant rien de révolutionnaire, entendons-nous bien. Mais des mélodies simples comme tout qui nous accrochent pour ne plus nous lâcher. Des rythmiques efficaces bourrées d’énergie en ébullition. Et plus on écoute, plus ça devient évident. Pop, punk, garage, mod, bluesy et rock, tout simplement, la tambouille est succulente. Ca a du style, ça a la pêche et ça s’écoute comme d’autres boivent du petit lait. Le son est brut mais propre, la production (de Mick "The Clash" Jones) laisse le groupe s’exprimer dans un joyeux bordel. Tout en restant méchamment doué et ambitieux

Tiens, juste pour être méchant, on dira que, dans le même genre, ça vaut 100 fois les surestimés The Strokes (vous avez écouté leur deuxième album, Room on Fire ? Non ? Vous avez bien fait). Ca tourne moins à vide, c’est plus vivant, plus vibrant, plus diversifié et ça tient la route bien plus longtemps. Batterie efficace dans l’économie, hand-clapping, changements de rythme et ponts jouissifs, guitares abrasives et typiquement anglaises, refrains fédérateurs : tout est là. Entre chansons parfaites (les trépidants Horror Show ou Boys In The Band), mélodies stylées et fières (Time For Heroes ("Did you see the stylish kids in the riot…"), Death on the Stairs) et poésie urbaine très lads (Up The Bracket), le mélange entre attitude et efficacité est des plus réussis.

Il faudrait parler de la voix cockney et canaille de Pete Doherty. Un peu à la vas-y-comme-je-te-pousse mais c’est ça qui est bon justement. Complètement éraillée sur l’éthylique et foutraque The Boy Looked At Johnny (et son chœur stupide mais jouissif à la "La de di la de di da diddy") ou posée sur le dépouillé Radio America, dans tous les cas elle donne envie de chanter. Mais il faut écouter les chansons au lieu d’en parler, pour bien réaliser leur justesse. Entre des introductions qui filent des frissons (la montée en puissance de Begging) et morceaux sur ressorts, le disque regorge de moments mémorables.

Mais en plus d’avoir du style, certaines chansons se veulent plus profondes. Avec de vraies échardes de mélancolies coincées dedans. Comme l’excellente Tell The King, joli pic émotionnel, qui après la fausse désinvolture finit dans un relâchement désarmant ("He drinks and smokes his cares away / His heart is in the lonely way / Living in the ruins / Of a castle built on sand..."). Et The Good Old Days, plus belle chanson du disque et au-delà, avec mélodie vibrante, fêlure apparente, chœur en arrière-fond et texte top niveau des plus inspirés :

"If you've lost your faith in love and music
Oh the end won't be long
Because if it's gone for you then I too may lose it
And that would be wrong

You know I've tried so hard to keep myself from falling
Back into my bad old ways
And it chars my heart to always hear you calling
Calling for the good old days

Because there were no good old days
These are the good old days…
"

Après ça, difficile de réduire ces 4 garnements à des crétins sans âmes. Bouclé en 36 minutes (plus les 3 du bonus track de la réédition, What A Waster, premier single et bombinette punk implacable), le disque est d’une rare cohérence. Et d’une densité remarquable. Et s’écoute en boucle. Néanmoins à la 1746ème écoute, une légère lassitude se fait sentir. Ca n’est en fait que passager. Ca repart ensuite de plus belle. Les refrains continuent à nous trotter dans la tête pendant des heures. Et l’on se surprend à les fredonner sans crier gare. Un premier album de toute première classe donc. A chérir très fort. A ressortir les jours où on s’ennuie à mourir pour se donner un coup de fouet. Un truc à apprécier avant de devenir un vieux con aigri qui n’aime plus rien… Vous n’êtes pas d’accord ? Tant pis pour vous. Car quitte à les citer :

"I get along singing my song,
People tell me I’m wrong…
Fuck’em!!
"

posted by godspeed | 10:43 |


9.1.04  

Grâce à mes innombrables relations dans le milieu du show-biz, j’étais hier soir invité à une avant-première exceptionnelle… bon, en fait c’est seulement grâce à ma carte UGC illimité mais bon, peu importe, le résultat est le même sauf qu’ici, on me demandera mon précieux avis de spectateur pour décréter si, oui ou non (plutôt non), le film secret que je vais voir mérite le prestigieux « Label des spectateurs UGC » (ooooooooohhhhhh…).
A la réception de mon mail d’invitation et suite à la défection polie mais inévitable de miss Cathy M, le 1er problème fut donc de trouver un accompagnant. La seule solution est alors "d’appeler un ami, Jean-Pierre" et hop, l’affaire est dans le sac, ce sera mon cher copain R., cinéphile de son état qui aura la lourde tâche de m’assister dans ma mission. Le film étant tenu secret, je ne peux m’empêcher de jouer auparavant au petit jeu des prédictions : vu les sorties à venir, mon premier choix se pose sur le nouveau film (daube ?) de Julia Roberts, Le Sourire de Mona Lisa, avant de craindre plus sûrement que ce sera RRRrrrr, d’Alain Chabat, avec les Robins des Bois, dont la bande-annonce fait froid dans le dos de nullité (quand à la perspective que cela puisse être Frère des Ours, le prochain Disney, je n’ose y penser…). R. lui, bien que curieux, ne se prononce pas même si je discerne clairement à fond de son œil qu’il espère (en vain) voir un nouveau film, posthume et gardé (bien) secret jusqu’ici de Stanley Kubrick, traumatisé et inconsolable qu’il est resté 5 ans après la mort de notre barbu préféré.
Trêve de bavardage, après une rapide visite au Musée d’Orsay dans l’après-midi (petit alibi culturel gratuit dans cette critique mais bon, ça ne fait pas mal), juste le temps de trouver une couleur de chaussettes assortie à mes Vans grises, je me dirige vers mon cher UGC Ciné-Cité Les Halles en ce jeudi soir, sans même le temps de boire une bière (je vais le regretter), pour cette avant-première attendue. La lumière s’éteint, l’insupportable jingle UGC Ciné-Cité vrille les oreilles puis le générique commence, le film est donc (tin-tin-tin, suspense, roulements de tambour…) :

Blueberry, de Jan Kounen.

Oh, merde. Ca commence mal, nous ne sommes pas rassurés du tout du tout du tout (pas beaucoup, donc). D’ailleurs, dès l’inscription du titre sur l’écran, deux personnes prennent leurs affaires et quittent la salle… la suite leur donnera raison. Déjà, juste le nom de Jan Kounen est synonyme de frayeur : le monsieur avait signé en 97 un premier film, le nullissime Dobermann, que l’on peut considérer comme l’un des plus mauvais films de la dernière décennie. Donc pas de quoi nourrir de grands espoirs à propos de ce Blueberry…
Pourtant le début intrigue un peu : Blueberry (Vincent Cassel, qui tourne trop) dans une apparente agonie, se remémore son adolescence et plus particulièrement son arrivée dans un petit village non loin des terres indiennes. Et là, exposition du sacro-saint trauma qui rongera le personnage (le pauvre a vu mourir sous ses yeux son premier amour, la gentille prostituée Madeleine tuée par le vilain Wally, boooo, trop triste…) avant de virer dans le mysticisme toc et bon marché, sans recul aucun ni second degré, avec des indiens telleeeeement spirituels et si proooooches de la nature (et un peu sorcier, forcément). Bizarrement, à ce moment-là, on reprendrait presque confiance en Kounen, qui filme les aigles planant dans le ciel et les montagnes un peu comme Malick filme une fleur qui pousse. Et tant pis si, pour l’instant, le film est aussi profond qu’une publicité de parfum pour hommes, les images sont jolies, les mouvements d’appareil limpides et plutôt bien fichus ; après s’être dit que ça tombe bien que Hugh O’Connor soit vachement ressemblant à Cassel jeune, on attend néanmoins que le film commence vraiment…



Et donc au bout de vingt bonnes minutes, le film commence vraiment et on le regrette assez vite, tant celui-ci ne cessera de se déliter par la suite. Déjà Vincent Cassel, malgré sa bonne tenue, qui parle anglais ou français (c’est un cajun) au milieu d’un casting anglo-saxon, on y croit moyen… D’autant plus que l’interprétation peu inspirée, un scénario fainéant et une avalanche de clichés n’aideront pas à se passionner pour la chose. En gros, sachez que cela tourne autour d’un manuscrit indiquant la position de montagnes sacrées indiennes, que plusieurs personnes malintentionnées convoitent, dont le fameux Wallace "Wally" Blunt (Michael Madsen, paresseux, comme d’habitude) que tout le monde croyait mort ; Mike Blueberry, ami des indiens et en particulier de Runi (Temuera Morrison, toujours pas remis de Star Wars Episode 2 - L’attaque des Clowns), devenu sheriff est le garant de la cohabitation des 2 mondes, va donc tout faire pour éviter ça, même si pour ça il doit faire face à ses vieux démons (vous vous souvenez ? Le bon vieux trauma de départ avec son premier amour ?). Rien de bien palpitant donc, le rythme étant des plus décousus. Ajoutez à ça une ambiance, décors et costumes qui sentent bon la reconstitution factice à laquelle on ne croit pas une seconde (c’est plus crédible dans le désert et la forêt), des dialogues à l’emporte-pièce et surtout une galerie de personnages et de situations qui avale les clichés éculés du Western comme des perles : l’adjoint bourru, alcoolo mais si sympa (Colm Meaney, le pauvre…), le héros torturé, l’amoureuse transie et téméraire (Juliette Lewis, aux côtés de son papa Geoffrey, toujours aussi énervante et peu subtile, qui à un moment chante… Danny Boy !! Vive l’originalité), des méchants vraiment trop cupides/traites/imbéciles/violeurs/aux-dents-pourries/méchants (rayez les mentions inutiles) et des indiens zarbis si profooooonds et spirituels. Jan Kounen (qui s’est réservé un petit rôle, celui d’un simple d’esprit aux dents gâtées : sans commentaires) enjolive une (petite) poignée de scènes d’une évidente patte, brillamment découpées et filmées mais gâche le reste en accumulant les effets frimes en plus d’un montage brouillon, ruinant presque la photo délicate de Tetsuo Nagata (responsable de celle de La Chambre des Officiers de Dupeyron). A partir de là, on sait que le film ne sera pas bon, pas totalement calamiteux mais pas bon…

Or, c’est oublier que Kounen est capable de bien pire, ce qu’il se charge de nous rappeler lors d’une dernière demi-heure d’une consternante nullité, d’une laideur et d’une stupidité peu commune, le film perdant toute crédibilité dès lors qu’il veut ramener au premier plan son côté fantastique, la greffe ne prenant hélas pas du tout. Ca se complique donc d’abord avec une séance de spiritisme interminable et insupportable avec une débauche d’effets visuels moches comme tout (des vers, des scarabées géants, des … trucs visqueux qui rappellent les poulpes métalliques de Matrix, qui sortent et rentrent dans le corps de Blueberry lors de ses visions de drogué), qui laissent le pauvre spectateur, indulgent jusque là, passablement affligé (et mon voisin de me demander à ce moment-là si ce "film" ne durerait pas 4 heures par hasard…). Ca continue sur sa lancée avec une mini-course au trésor aussi palpitante qu’une aventure d’Allan Quatermain, avec des répliques si profondes et pertinentes ("les animaux sont des bêtes… mais les hommes sont des monstres" : ok, super…), une fusillade à cheval rendue illisible et inutile par un montage irrationnel, des incohérences à mourir de rire (je suis à cheval, au galop, encerclé par des indiens, je balance un bâton de dynamite devant moi (plutôt que derrière), il atterrit à plus de deux cent mètres et explose au bon moment : ben voyons…). Il y a longtemps que l’on s’en fout complètement lorsque Kounen nous inflige douloureusement ses dix dernières minutes : dix bonnes minutes d’effets spéciaux dans la même lignée que précédemment (c'est-à-dire moche et conne, avec quelques pyramides en bonus), Blueberry effectue une voyage au sein de son âme (sic), où, sans surprise, on retrouve encore une fois le trauma d’origine (avec une pirouette que l’on avait vu venir à des kilomètres). Dix minutes de virtuel total, de délire de drogué et de mysticisme à 2€, qui en plus d’être laides et ridicules (et soporifiques au possible), sont un sommet de prétention où Kounen s’imagine certainement refaire aussi bien que le final de 2001 avec son retour vers la forme primitive et fœtale. Dix dernières minutes qui ont dû engloutir les trois quarts du budget mais qui devraient griller Kounen à tout jamais et peut-être l’empêcher de pouvoir faire un nouveau film. Dix dernières minutes qui constituent peut-être ce que l’on a vu de plus nul depuis de nombreuses années, achevant de transformer le film en l’un des premiers gros nanars et merdes sans nom de 2004. Jamais à court de ridicule, le film s’achève sur une niaise scène d’amour sous-marine où Juliette Lewis s’agite toute nue dans une posture des plus humiliantes et pathétiques : on ne sait pas si on doit rire ou avoir honte pour elle.


(Vincent Cassel après la projection : Arghhh, ma tête…)

N’étant absolument pas connaisseur de la bd, on peut néanmoins supposer que l’esprit originel de celle-ci doit être trahi dans les grandes largeurs. De toute façon, on s’en fout. Alors que les lumières se rallument et que le générique de fin se déroule mollement (comment ça, le petit prussien à lunettes dans le film, c’était Eddie Izzard ???), il faut remplir son petit feuillet d’appréciation UGC. Ca va aller vite : je n’ai PAS aimé DU TOUT. Non, je ne le conseillerais CERTAINEMENT PAS à un ami. Et pour le résumer en un mot, j’ai choisi "CONSTERNANT". Malgré ses "belles images", ça m’étonnerait qu’il chope le Label des spectateurs UGC avec tout ça. En fait le seul avantage de ce film, c’est de donner envie de revoir le splendide Dead Man de Jim Jarmusch. Ce n’est déjà pas si mal…


(Au cas où vous seriez vraiment maso, le film sortira en salles le 11 février prochain : bon courage.)

posted by godspeed | 14:00 |


2.1.04  

Une année 2003...

Malgré une année particulièrement pauvre d'un point de vue cinématographique ET musical, petite tentative de tops récapitulatifs aussi bien subjectifs qu'incomplets mais parfaitements assumés (encore que...) et déjà inutiles :

Cinéma

Top 6 (après épuration d'un top 10 bancal):

1) Elephant
2) Punch-Drunk Love
3) Mystic River
4) Le Château dans le ciel
5) Loin du Paradis
6) Après la Vie
(quand je vous disais que l'année avait été pauvre...)

Pas loin du top, appréciables et appréciés (par ordre alphabétique) : Abîmes, Basic, Blue Gate Crossing, Confessions d'un Homme Dangereux, Dark Water, Ken Park, Master & Commander, Plaisirs Inconnus, La Secrétaire, Sympathy For Mr. Vengeance, La 25ème Heure et Zatoichi.

Inclassable : Kill Bill Vol. 1 (une moitié de film, par nature innotable, à la fois terriblement jouissive mais aussi dramatiquement creuse : autant une joie qu'une déception (voire même plutôt une déception...))

Top 6 reprises :
Les Proies, L'Arrangement, L'Obsédé, Arsenic et vieilles dentelles, The Shop Around The Corner, After Life.

Flop 3 (et on en oublie...) :
Dédales, Daredevil, Matrix Reloaded & Revolutions.


Musique

Top 10 :

Mogwai : Happy Songs for Happy People
Super Furry Animals : Phantom Power
Spiritualized : Amazing Grace
Grandaddy : Sumday
Explosions In The Sky : The Earth Is Not A Cold Dead Place
Mojave 3 : Spoon & Rafter
Catpower : You Are Free
Arab Strap : Monday at The Hug & Pint
Blur : Think Tank
The White Stripes : Elephant

A écouter aussi : Black Rebel Motorcycle Club : Take Them On, On Your Own, Rufus Wainwright : Want One, Ed Harcourt : From Every Sphere, Massive Attack : 100th Window, Mull Historical Society : Us, Lloyd Cole : Music In a Foreign Language, Broken Social Scene : You Forgot It In People, Elbow : Cast of Thousands.

Flop 3 :
The Dandy Warhols : Welcome to the Monkey House (lamentable...)
Placebo : Sleeping With Ghosts (insignifiant...)
The Strokes : Room On Fire (creux, creux, creux...)

Réédition de l'année :
Television : Marquee Moon

Concert de l'année :
Massive Attack au Zenith

posted by godspeed | 22:40 |


28.11.03  

Zatoichi, de Takeshi Kitano

Zatoichi, 11ème film de Takeshi Kitano réalisateur, qui succède au joli mais pesant Dolls, est à la fois un motif d’intense satisfaction et de légère anxiété. Satisfaction parce qu’il est le film le plus enthousiasmant de son auteur depuis des lustres, une œuvre romanesque fulgurante, pleine d’humour, de péripéties et de violence, aux vertus divertissantes des plus appréciables. La petite inquiétude qu’il peut provoquer est qu’il confirme, une fois de plus, que depuis son chef d’œuvre Hana-Bi, l’œuvre de Kitano perd de sa cohérence, celui-ci cherchant depuis 4 films un nouvel élan ou bien une alternative forte à ses histoires de yakusas, sans pour autant avoir trouvé une nouvelle voie qui puisse être viable sur la longueur…

Au lieu de faire la fine bouche, il faut au moins reconnaître qu’ici Kitano s’est remis en question en abordant un genre inédit pour lui en tant que metteur en scène : le chambara, soit le film de sabre japonais (Kitano avait néanmoins tâté du sabre en tant qu’acteur dans le beau Tabou de Nagisa Oshima, déjà aux côtés de Tadanobu Asano). Cette œuvre de commande, plus qu’un projet personnel, lui permet de se mesurer à un personnage mythique du cinéma japonais : le masseur aveugle, joueur et sabreur vagabond Zatoichi, héros de plus d’une vingtaine de films depuis le début des années 60. De son propre aveu, Kitano n’est pas un fan du personnage et cela crève les yeux pendant les trois quarts du film, tant celui-ci apparaît étrangement en retrait, agissant plutôt comme révélateur ou point de croisement des divers personnages et récits qui nourrissent le film. Situé à l’époque du Japon féodal, celui-ci démarre avec l’arrivée de Zatoichi dans un petit village qui vit sous l’influence violente d’un gang qui dirige des tripots, rackette les commerçants et élimine ses rivaux.



Sur ce canevas de base, le film s’étend et part dans plusieurs directions différentes avec les multiples personnages que rencontre le masseur. Kitano a toujours donné une importance particulière aux seconds rôles et c’est une fois de plus le cas ici, puisque ce sont ceux-ci qui font avancer l’histoire par à-coups successifs, donnant au film une ampleur progressive. Sur le mode d’un narration éclatée, les flash-back explicatifs ou digressifs se multiplient, soulignant les enjeux moraux des personnages, enrichissant et épaississant graduellement le récit. Ainsi deux geishas rencontrées par Zatoichi sont en fait deux frère et sœur orphelins qui cherchent à se venger du meurtre de leur famille, perpétué dix ans plus tôt par de mystérieux assasins. Autre personnage déterminant, Hattori, un samouraï sans maître (un ronin) accompagné de sa femme malade, qui décide de louer ses services comme garde du corps à Ginzo, le chef des yakusas. Un beau personnage profond et tourmenté, qui bénéficie de l’interprétation contenue mais habitée du charismatique Tadanobu Asano (LA rising star japonaise, bientôt à l’affiche de Jellyfish, le dernier film de Kiyoshi Kurosawa…), donnant un relief non négligeable à ce ronin tragique…

Dans sa vision de paysans martyrisés par des yakusas, Kitano ne fait pas dans l’originalité mais il est frappant de voir à quel point ces derniers ressemblent à ceux qui animent ses histoires modernes ; comme si, 200 ans auparavant, les gangsters qui régnaient sur le jeu étaient déjà aussi bien organisés et installés que ceux qui terroriseront plus tard le Japon contemporain en se coupant le petit doigt. Quant à sa représentation des paysans, si elle n’est pas vraiment calqué sur celle d’Akira Kurosawa, elle est tout de même empreinte d’un certain sens de l’humanisme et de la générosité qui était caractéristique du Maître. Les références à Kurosawa seraient aussi à aller chercher du côté de certains petits clins d’œil qui sont autant d’hommages inconscients : un garde du corps (comme dans Yojimbo), un combat au sabre sous la pluie (comme dans Les Sept Samouraïs) ou un simple d’esprit qui court bêtement autour d’une maison (pas loin de Dode’s Kaden). En ce qui concerne l’humour du film cependant, c’est du Kitano pur jus, des scènes qui manient l’humour pince sans rire et un peu froid mais régulièrement hilarant. L’élément comique principal prend ici les traits du neveu d’une paysanne, qui a abandonné les travaux manuels pour le jeu, véritable loser qui essaye d’imiter sans succès les coups d’éclat de Zatoichi qu’il va accompagner dans quelques mésaventures. Ce qui donne à voir une scène désopilante et truculente de cours de sabre à 3 nigauds, qui se transforme rapidement en rouage de coups de bâtons sur la tête…



Au milieu de tout ça, Zatoichi apparaît donc en retrait. Kitano semble pourtant prendre plaisir à l’interpréter avec cette coiffure blonde platine et ces petits rires idiots constituant la majorité de ses réponses mais le personnage reste spectral, mystérieux et impénétrable pendant la majeure partie du film, renfermé sur lui-même, privilégiant l’écoute attentive des bruits et mouvements révélateurs aux alentours. Ses phases d’actions sont aussi fulgurantes et tranchantes que celles du film : les sabres vont trop vite pour qu’on puisse bien saisir leur action, le mouvement étant moins visible que le résultat (avec quelques amputations du plus bel effet), bien aidés par des gerbes de sang généreuses (réalisées numériquement et dont le côté faux et artificiel est voulu pour accentuer l’irréalité de ces scènes de combat). Ainsi l’habituel dispositif filmique de Kitano, constituait de plans-séquences étirés, s’est brillamment adapté dans un souci d’illustrer ce récit d’aventures de façon appliquée et créative, pour que tout soit limpide. C’est réussi puisque que c’est certainement le film le plus facile d’accès de son auteur.

Un aspect frappant de Zatoichi demeure la musique, qui n’est pas signé Joe Hisaishi comme d’habitude mais par un certain Keiichi Suzuki (membre des obscurs Moonriders). Le changement se fait sans réel heurt et se permet même quelques belles innovations ; la ligne d’orgue qui accompagne la dernière demi-heure (la "vengeance" sanglante et sinistre de Zatoichi) lui donnant une ambiance inquiétante tout à fait adéquate. Autre jolie idée très contemporaine, les percussions par des paysans à l’aide de leur outil, qui se mêlent à la bande-son dans plusieurs scènes, dans un chorégraphie très "Stomp". Le pompon reste néanmoins la fantastique scène finale des claquettes : tous les personnages (tout du moins les gentils, comme le dit Kitano, ce qui exclue Zatoichi de son point de vue…) se retrouvent sur une scène, face caméra, et entament donc une danse débridée et joyeuse. Cette scène, chorégraphiée par une troupe du nom de The Stripes, rappelle aussi que Kitano est un passionné du monde du cabaret et du music-hall qu’il a côtoyé dans sa jeunesse (rapidement évoqué dans Kids Return). Et surtout, sommet de joie communicative et de célébration festive, elle est peut-être le plus beau moment de cinéma de son œuvre depuis un bon moment, un instant quasi-magique comme l’on en voit peu souvent, qui en plus de donner à Zatoichi une estime tout particulière dans la filmographie de Takeshi Kitano nous permet aussi de garder toute confiance en un cinéaste majeur qui a au moins le mérite de toujours nous surprendre et de n’être jamais totalement là où l’on l’attend…

posted by godspeed | 14:00 |
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