Les critiques de Cathy M et godspeed
Des critiques de ce qu'on veut, faites comme on le veut... :)


27.3.04  

The Power Out d’Electrelane.



Girl Power !!
Les 4 filles originaires de Brighton qui forment le groupe Electrelane s’étaient révélées il y a 2 ans avec un trépidant premier album, l’obsédant Rock It To The Moon. Un disque surprenant et plein d’inventivité, principalement instrumental, avec un son déjà très personnel, à mi-chemin entre post-rock et Krautrock, saupoudré d’un orgue spectral inattendu : on avait parfois l’impression d’entendre Mogwai qui aurait acheté un clavier dans l’espoir d’imiter Can en empruntant les guitares de Sonic Youth. Le titre d’un morceau pouvait résumer l’affaire : Film Music ; une musique envoûtante et étirée, au pouvoir d’évocation indéniable et forte en émotions : la musique idéale d’un film imaginaire en somme, et un album qui malgré ses défauts se transformait rapidement en disque de chevet.

2 ans plus tard donc, après un très sympathique EP (I Want to be the President) produit par Echoboy, le groupe a enregistré son second album à Chicago, sous la houlette du réputé Steve Albini. Bonne idée puisque The Power Out comble une bonne partie des hautes espérances engendrées par le 1er album, tout en allant défricher un terrain un peu différent. Première évolution de taille, l’apparition du chant sur la quasi-totalité des morceaux alors qu’il était absent de Rock It… C’est la guitariste (et leader ?) du groupe, Verity Susman, qui pose sa voix fragile, approximative mais attachante, sur des textes au fort contenu littéraire et aux langues variées : c’est d’abord le français qui est convoqué sur le Stereolab-esque Gone Under Sea qui ouvre l’album, virevoltante ballade désenchantée. Plus loin, sur la chatoyante et énergique Oh Sombra, Susman déclame un sonnet d’un poète espagnol, Juan Boscàn. Et le groupe rend l’exploit de rendre excitant un chant en allemand : sur l’extraordinaire This Deed, l’un des morceaux les saisissants du disque, Electrelane compose un morceau ample et imposant autour d’un extrait du Gai Savoir de Nietzsche qui parle de la mort de Dieu : transcendant, au minimum.

Le reste de l’album est chanté en anglais mais Electrelane continue de jouer du rock comme dans une art-school, avec son côté cérébral et avant-gardiste jamais pompeux. Ce qui n’empêche pas du culot et de l’audace, car il en faut pour accoucher d’un morceau aussi impressionnant que The Valleys, où le chant est accompagné par un chœur grégorien, lui donnant une dimension majestueuse, surréaliste et envoûtante ; une chanson splendide qui finit donc par ressembler à une cathédrale fragile devant laquelle on se recueille, les genoux flagellants. Tout en gardant une certaine ligne proche de la musique répétitive (auquel participent beaucoup le jeu de batterie "robotique" d’Emma Gaze), chaque morceau dévoile une couleur différente de la palette musicale variée du groupe. Le lascif Birds affiche un héritage venant du blues, tandis que le single On Parade, sur un format plus court et resserré, évoque plus une power pop obsessionnelle et piquante. Take The Bit Between Your Teeth est plus rock et semble taillé pour la scène avec sa longue (mais jouissive) digression de guitare dont le son garage rappelle un peu les derniers hymnes rageurs de BRMC. Pour se reposer, on peut s’assoupir plus loin sur le moelleux Enter Laughing, une charmante ballade récréative, à la tranquillité et la joliesse immédiate.

Il est alors franchement dommage de voir l’album caler un peu vers la fin, avec trois morceaux un peu moins inspirés : Loves Builds Me est un instrumental un peu vain aux touches d’électro et d’orgue, tandis que Only One Thing Is Needed et son groove hypnotique échoue à séduire totalement malgré ses rasades de saxophone. L’ultime You Make Me Weak At The Knees est un joli instrumental avec piano et percussions, mais au-delà de sa réussite on se souvient aussi que l’album précèdent se terminait sur un ébouriffant morceau de dix minutes un peu plus mémorable. Quelques réserves regrettables à l’arrivée mais qui ne doivent pas faire oublier que pour le reste, The Power Out est un brillant album varié et maîtrisé, livrant un quota non négligeable de grands moments. A défaut de livrer un album incontournable qui mettrait tout le monde d’accord, Electrelane poursuit son chemin à son rythme, en montrant encore un potentiel des plus prometteurs, qui pourrait bien accoucher de très très grandes choses : l’avenir leur appartient (ou alors le dira, ce qui revient au même).

posted by godspeed | 13:17 |


23.3.04  

Ubik, de Philip K. Dick.

Les amis, tout doit disparaître !
Nous soldons la totalité de nos Ubiks électriques, silencieux, à prix défiant toute concurrence.
Oui, nous liquidons l’ensemble de nos articles.
Et n’oubliez pas que tous les Ubiks de notre stock ont été utilisés conformément au mode d’emploi.


Ubik, c’est quoi ?
Ecrit en 1969, Ubik est le roman emblématique de Philip K. Dick, considéré comme l’aboutissement d’une œuvre abondante, où il n’a cessé de créer une Science-fiction ambitieuse, visionnaire mais toujours abordable. Adapté (après sa mort en 1982) avec plus ou moins de bonheur au cinéma (Paycheck, Minority Report, Totall Recall, Blade Runner, Screamers…), Dick faisait intervenir ici la plupart de ses thèmes fétiches et ses obsessions : des pré-cognitifs (qui peuvent donc voir l’avenir) une horde de neutraliseurs psychiques, la cryogénisation, la mixité Passé/Présent/Futur, la mort et la paranoïa d’une réalité subjective et sans cesse fuyante.

Ubik, c’est fait avec quoi ?
Difficile de résumer l’histoire d’Ubik, autant pour son apparente complexité que pour ne pas dévoiler trop du mystère d’une situation qui monte doucement, mais sûrement, en puissance. Au centre de l’histoire, la société Runciter Associates, dirigée par Glen Runciter (et sa femme Emma, en état de semi-vie cryogénique), qui loue ses équipes de "neutraliseurs" pour empêcher de nuire tous les télépathes néfastes pullulant sur la planète (ou ses colonies spatiales). Alors que nombreux de ces derniers disparaissent sans laisser de traces, Runciter accompagne une équipe pour une mission sur la lune, secondé par le fidèle Joe Chip, loser toujours fauché. Une explosion plus tard, une course pour survivre (ou pas) commence, au gré de fluctuations temporelles allant de 1992 à 1939, de New-York à Des Moines en passant par un moratorium à Zurick, alors que la réalité s’effiloche et se dessèche dangereusement.

Ubik, ça sert à quoi ?
Cette course à la survie s’assimile finalement à une quête : celle d’Ubik, sorte de cousin du fameux MacGuffin Hitchcockien. Car Ubik, c’est… il ne faut pas le dire. Disons qu’Ubik, c’est ce qui permet de fixer la réalité. Si Joe Chip, le héros principal, veut survivre, il faut qu’il trouve Ubik mais surtout ce qu’il représente, pour enfin comprendre la nature de son environnement étrange ; trouver Ubik, c’est saisir enfin ce qui lui arrive, à lui et son équipe, ce qu’ils sont devenus, comprendre enfin le phénomène qui les engloutit. La succession des interrogations et des hypothèses de Joe Chip fascine et passionne du début à la fin. Et si l’imagination de Dick excelle à présenter un futur où l’ouverture de sa porte d’entrée est payante et où on consulte son avenir sur vidphone aussi facilement qu’on regarde la télé, sa faculté à faire exister ses personnages rapidement et à les rendre attachants en quelques lignes participe beaucoup à la réussite du livre. Car si Ubik est un livre incontournable et passionnant, c’est autant pour les questions existentielles qu’il soulève (la vie après la mort, entre autres…) que pour une intrigue échevelée, menée tambour battant, qui nous parait presque trop courte. Néanmoins, la dernière page achevée, la réflexion continue, car après une ultime pirouette à la fin, on n’est plus si sûr d’avoir bien compris ce qu’était Ubik. A moins que ce ne soit l’inverse : Ubik, on n’est pas bien sûr d’avoir compris la fin…


NB : une grossière erreur s’est glissée dans Ubik : à la page 281 (de l’édition 10/18) le héros déclare "Parler d’ions négatifs est un pléonasme. Tous les ions sont négatifs". Affirmation fausse et aisément vérifiable puisque aux ions négatifs (ou anions) s’opposent les ions positifs (ou cations) Comme exemples les plus célèbres, l’ion hydrogène H+ ou l’ion Sodium Na+. Alors approximation faiblarde d’un auteur à l’esprit pourtant scientifique ou erreur de la traduction française ? Mystère…

posted by godspeed | 12:21 |


18.3.04  

Margerine Eclipse, de Stereolab



"C’est le nouveau Stereolab ?", s’exclamait avec curiosité la délicieuse Natasha Gregson Wagner dans l’adaptation de High Fidelity par Stephen Frears, au son du Lo Boob Oscillator… Et bien oui, ça y est, le nouvel album de Stereolab (approximativement le 10ème) est enfin arrivé, près de 2 ans et demi après le précédent Sound-Dust ; une attente plus longue que d’habitude pour un groupe stakhanoviste qui travaillait jusqu’à maintenant au rythme frénétique d’un album (et d’innombrables EPs) par an depuis 1991. Un attente prolongée dû à la construction de leur propre studio d’enregistrement, Instant 0, en France et surtout (et malheureusement) au décès de Mary Hansen, chanteuse en second, guitariste et membre de longue date, fauchée tragiquement par un camion lors d’une ballade en vélo fin 2002.

Margerine Eclipse aurait donc pu être un disque de deuil mais finalement pas. En surface, le seul hommage visible est sur la chanson Feel and Triple, délicate ballade où Mary est directement citée (les "goodbye, Mary" des chœurs), un chant d’adieu des plus touchants : "As much as I don’t want, I have to say goodbye / You will sing for ever like an angel who flew away…". Sur le reste de l’album, Stereolab sautille presque, ou du moins fait preuve de bonne humeur et de joie de vivre, comme pour mieux exorciser sa tristesse. Jim O’Rourke (de Sonic Youth, entre autres…) et John McEntire (de Tortoise, entre autres…) ne sont plus à la production mais le son si personnel du groupe est toujours le même, si difficile à décrire à ceux qui ne le connaissent pas, et si jubilatoire pour les autres, un son qui en a fait l’un des groupes les plus importants et influents de la décennie passée. Disons que Stereolab, c’est le croisement idéal entre la pop la plus naïve et exubérante et la musique d’avant-garde ; un mélange de pop, de lounge, d’easy-listening, de Krautrock, de sonorités électroniques festives, de bossa-nova, de jazz ou de free-jazz, de cordes grandioses et de dub simpliste, à la texture et aux différentes couches complexes et subtiles. Improbable sur le papier mais des plus abordables et originales à l’écoute, après une période d’acclimatation non négligeable. Une fois le pas franchi, plus de marche arrière : en général, Stereolab, c’est à prendre ou à laisser, on aime ou on déteste. Inutile de préciser qu’ici, on respecte Stereolab plus que de raison…

Difficile donc de décrire des morceaux aussi protéiformes, à la construction souvent alambiquée, constitués de plusieurs mouvements distincts et entrelacés, sans parler des multiples strates sonores et des arrangements. On se contentera donc d’énoncer quelque uns des titres les plus marquants de cette enthousiasmante éclipse : il faudra donc retenir le débridé et disloqué Vonal Declosion, les harmonieux et fascinants "…Sudden Stars" et Cosmic Country Noir, tous réunis dans un début d’album particulièrement réussi. A considérer aussi sérieusement, la triplette dispersée "Marge" : d’abord le court, efficace et bien nommé Margerine Rock ; plus loin, le pétillant Margerine Melodie puis le troublant Dear Marge qui conclut l’album, morceau en plusieurs tranches au final disco succulent.
Aux savantes mélodies de Tim Gane se marie la voix de sa compagne, la chanteuse (française) du groupe Laetitia Sadier. Un chant délicat qui attira souvent les quolibets mais qui participe grandement à la singularité du groupe. Sa voix fluette accompagne des textes (en anglais ou en français) qu’on trouvera au choix niais ou rigolos : les plus notables ici sont ceux de l’énergique Bop Scotch, avec ses paroles pseudo-révolutionnaires ("Au diable vos lois qui oppriment le peuple") et le charmant Need To Be avec un couplet déjà célèbre : "mon arbre est tout fleuri / Pourtant il fait encore très froid dehors…"
A l’arrivée, en troquant donc la sauce tomate pour de la margarine, Stereolab a signé son album le plus abordable et le plus libéré depuis l’important Emperor Tomato Ketchup. On pourrait regretter l’absence d’une pointe de mélancolie qui rend souvent les disques plus attachants mais le dynamisme et l’originalité sans cesse renouvelée de Stereolab rendent une fois de plus sa pop hybride tout bêtement incontournable.


Add : Puisqu’on y est, quelques mots aussi du formidable concert que Stereolab a donné hier soir au Trabendo, à Paris. Avec une formation de 7 personnes sur scène, le groupe anglais a brisé le vernis un peu intello qu’on peut parfois lui reprocher pour délivrer une prestation festive, dansante et extrêmement généreuse. En jouant une majorité de titres du dernier album, agrémenté d’une sélection de titres plus anciens (dont un épatant Lo Boob Oscillator, achevé avec 2 batteries), le groupe a sût retranscrire de façon crédible, ample et puissante toute la complexité des ambiances subtiles de ses disques, avec une énergie communicative. Tout au plus on pourra remarquer que sur certains morceaux, l’absence de Mary Hansen se fait un peu sentir à niveau des harmonies vocales. Pour conclure un splendide set de près d’1h45, le groupe a dégainé un rappel en deux temps foudroyant l’assemblé une bonne fois pour toutes (au menu entre autres, un mémorable et captivant Cybele’s Reverie, ainsi qu’un tourbillonnant Stomach Worm où Kieran Hebden (alias Four Tet, qui avait signé une première partie électro-dub sympa) est venu prêter main forte avec sa guitare). Le concert fut donc une confirmation : Stereolab est grand.
(Et pour ceux que ça intéresse, la setlist du concert est disponible ici)

posted by godspeed | 14:08 |


8.3.04  

Un garçon d’Italie, de Philippe Besson

Lorsqu’ils ont déposé le couvercle sur le cercueil, lorsque le visage de Luca a disparu, j’ai seulement pensé : voilà, j’ai vu ce visage presque tous les jours pendant cinq années, et je ne le verrai plus. J’aurais dû contempler ce visage jusqu’à la fin du monde, le monde est encore là et lui n’y est plus. J’ai eu cette pensée toute simple, que je ne sais pas énoncer autrement qu’avec des mots simples. La tristesse parfois est une régression.

Luca est mort. Echoué mystérieusement sur une rive de l’Arno, à Florence.
Luca est mort mais pourtant, de là où il est, il parle. Il décrit son autopsie, son embaumement, son enterrement. Puis de son cercueil, il revient sur ses relations avec Anna et Léo.
Anna, sa compagne, parle aussi. De son deuil. De sa douleur. De la police qui semble lui cacher des choses. De l’appréhension forcément déplaisante de découvrir bientôt les choses que Luca lui cachait.
Léo aussi fait son deuil. Seul, dans son coin, vendant son corps dans un hall de gare. Et il se souvient de ses étreintes secrètes avec Luca…

Puis, mon regard se balade sur les tombes, au hasard des allées de ce cimetière. Et, tout d’un coup, il me semble que je reçois tout le malheur des hommes, que m’est offert tout le chagrin de ceux qui ont perdu quelqu’un.

Le premier roman de Philippe Besson s’intitulait En l’absence des hommes. Celui-ci, le quatrième après les remarquables Son Frère et L’Arrière-saison, pourrait s’intituler En l’absence d’un homme. Et quand un être vous manque, tout est dépeuplé dit-on. Roman à trois voix distinctes mais enlacées, Un garçon d’Italie est encore une histoire de deuil. Pas celui auquel on se prépare, comme dans Son Frère, mais celui qui suit une mort inattendue. Douleur du vide et l’absence, chagrin insurmontable qui englobe tout, Besson propose encore une fois un texte attristé mais touchant. Dans le livre, chacun de ses proches doit continuer à exister malgré la mort de Luca, et l’enquête cherchant à élucider la raison de son décès importe moins que les secrets qu’elle va révéler : s’y montre alors l’hypocrisie de la société, la complexité des relations humaines, le jeu des apparences où chacun interprète un rôle conforme à son image ou à sa position sociale, cachant ce que l’on est vraiment. Chacune des 4 parties du roman s’ouvre avec une citation d’un livre de Cesare Pavese, Le Métier de Vivre. Effectivement, chez Besson, vivre est un métier qu’on souffre d’apprendre. Et survivre est un tourment.

Comme à chaque fois, il y a ce style Besson. Des chapitres courts (rarement plus de trois pages), ce rythme particulier, flottant, ce balancement des mots simples mais justes, ces phrases qui charrient un torrent d’émotions. Cette écriture sensuelle aussi, soulignant le frottement des corps et le croisement des sentiments. Une poésie subtile qui au détour de moments accablants s’étonne que "rendre les derniers hommages" ou "reconnaître le corps" fassent aussi bien partie du vocabulaire de la mort que du langage amoureux… D’ailleurs, ne parle-t-on pas aussi de la petite mort pour l'orgasme ? Etrange charme que possède l’écriture de Besson, qui ne cesse de livre en livre, de se faire rencontrer Eros et Thanatos dans un même élan passionné qui nous touche à chaque fois…

Ils emploieront des mots simples, des mots de tous les jours, pour parler de nous, ceux qui parleront de nous. Mais ce ne seront pas les mots qui conviennent. Non pas qu’il soit besoin de mots compliqués ou de formules alambiquées, mais il s’agit de viser juste, de ne pas se tromper. Eux se tromperont. Ils raconteront une histoire et nous en aurons vécu une autre.

NB : Merci à Cathy pour le kdo. :)

posted by godspeed | 11:40 |


1.3.04  

Paycheck, de John Woo

Du dernier John Woo, nouvelle étape d’une carrière américaine en dents de scie, il y avait tout à craindre. Suite à l’échec de Windtalkers, beau film de guerre humaniste injustement boudé (pas assez cynique pour les uns et sans doute pas assez patriotique pour des américains pas remis du 11 septembre), Woo se tourne vers une simple commande pour retrouver une position plus confortable. Le résultat est donc loin de son chef d’œuvre Volte/Face mais, heureusement, un cran au-dessus de l’insipide Mission : Impossible 2.

Adapté d’une nouvelle de Philip K. Dick, le film s’intéresse au cas de Michael Jennings (Ben Affleck), ingénieur en haute technologie, qui à la fin de chaque contrat prouve sa plus totale confidentialité en se faisant effacer la mémoire en échange d’un gros chèque. Au "réveil" d’une mission de 3 ans au service de son ami James Rethrick (Aaron Eckart), Jennings constate avec surprise qu’il aurait refusé ses millions, acceptant pour seule rémunération une enveloppe contenant une vingtaine d’objets anodins (une paire de lunettes, un briquet, une clé…). Poursuivi par le FBI et par ses anciens employeurs qui veulent lui faire la peau, Jennings n’a d’autres solutions que de faire la lumière sur son passé…
Disons-le tout de suite, Paycheck un simple divertissement, thriller de science-fiction correct mais sans plus, avec au programme son quota habituel de scènes d’action, fusillades et autres courses-poursuites. Ce qui fait son intérêt, c’est son scénario dickien, qui cultive au moins une notion intéressante, à mi-chemin de Total Recall et de Minority Report, deux autres films adaptés de Dick. Si les vingt objets dont hérite Jennings lui permettent bien (symboliquement) de reconstituer le puzzle de son passé, ils servent surtout de clés-gadgets à utiliser au bon moment, pour se sortir d’une situation donnée. Si on craint au début un coup de force scénaristique des plus scabreux, l’explication du pourquoi du comment est la vraie bonne idée du film : sans vendre totalement la mèche, disons que dans son passé effacé, Jennings a pu voir son avenir et se donner la possibilité de le changer. Futur à modifier observé dans un passé oublié à recomposer dans le présent, les trois strates temporelles coïncident en un même point, moteur de l’histoire : pour reprendre le contrôle de son destin, il faut d’abord que Jennings réassimile son passé. La réflexion du film autour de cette notion de destin, d’avenir déterminé ou pas, rappelle bien sûr Minority Report (avec d’autres similitudes telles que la lumière bleu pâle et certains décors ressemblants…), sur un mode moins poussé et ambitieux, ce qui n’est peut-être pas plus mal.



Le film n’exploite pas vraiment son idée jusqu’à bout, bouclant les explications et les enjeux dramatiques trop rapidement ; au-delà de cette thématique, il se relève sans grande originalité mais remplit honorablement son contrat. Toute proportion gardée, ça ressemble à une version high-tech de La Mort aux Trousses (surtout dans sa première moitié assez hitchcockienne), teintée de MacGyver et de James Bond. Ou alors à une série B de luxe mieux exécutée que la moyenne, avec ses moments trépidants, ses clichés, ses baisses de régimes un peu laborieuses, ses dialogues basiques et son interprétation à l’avenant pour le trio de tête : on le savait déjà, Ben Affleck manque d’épaisseur mais il a aussi été moins à l’aise ailleurs. Uma Thurman, à la coiffure atroce, hérite d’un rôle assez fade, simple quota féminin du film et Eckart celui du méchant sans relief. La marge de manœuvre de chacun est assez réduite, ainsi que pour tous les seconds rôles sous-exploités (Joe Morton et Paul Giamatti pour les plus connus), sans pour autant que le résultat soit désagréable.

Reste que pour un film de John Woo, on était en droit d’attendre un peu plus de fulgurance. S’il signe une copie soignée, elle est impersonnelle, très loin de la vivacité qui caractérisait ses meilleurs films, souffrant de l’absence des enjeux tragiques et virils qui animaient ses précédents héros. D’un réalisateur de son talent et avec ses faits d’armes, on demandera toujours des projets plus ambitieux que celui-ci. Ici, sa patte n’est visible que par intermittence : lors d’une poursuite en moto étirée, au découpage impeccable, ou bien encore lors du final (un peu longuet) dans le labo à la gestion de l’espace caractéristique. Les plus moqueurs souligneront surtout le sentimentalisme naïf qui est aussi l’une de marques de fabrique tandis que les fans trépigneront à l’apparition de la traditionnelle colombe… Impersonnel, un peu lisse, Paycheck parait alors légèrement vain malgré sa bonne tenue. A l’image de son héros (les plus intrépides se chargeront de relever les parallèles avec le cinéaste), John Woo ferait bien, pour la suite, de se souvenir de son glorieux passé s’il veut redorer son blason dans un avenir encore incertain…

posted by godspeed | 11:25 |
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