Les critiques de Cathy M et godspeed
Des critiques de ce qu'on veut, faites comme on le veut... :)


29.2.04  

Les Rivières Pourpres 2 - Les Anges de L'Apocalypse, d'Olivier Dahan

Aller voir certains films juste pour se moquer, en sachant pertinemment qu’ils vont être nuls, c’est mal ; il y a trop de films intéressants à voir pour perdre ainsi un temps précieux ; et puis aller au cinéma avec cynisme et un avis préconçu, c’est nul. Alors oui, je plaide coupable. Mais bon, là, l’affligeante bande-annonce annonçait un tel cocktail improbable, une telle avalanche de n’importe quoi (des moines-ninjas-yamakasis ??) que le film semblait mériter un coup d’œil juste pour s’assurer que l’on n’avait pas rêvé…
Et donc pas de surprise, Les Rivières Pourpres 2 est ce qu’il semblait être, c'est-à-dire un navet de compétition, intégralement nul, mais aussi fascinant du début à la fin tant il donne à voir de façon quasi-comique l’impasse auquel est confronté un certain cinéma français quand il veut copier les blockbusters américains. Tout le film pourrait être résumé par ces 2 lignes du générique : "Scénario et dialogues : Luc Besson". Et là, tout est dit ou presque. A son habitude, sieur Besson nous livre une tambouille mal cuisinée et prompte à satisfaire les moins exigeants, une pale et indigente resucée de thrillers américains, accumulant maladroitement les clichés les plus éculés sur fond d’intrigue approximative et de dialogues navrants. Puisque ça s’appelle les Rivières Pourpres 2 et que c’est une suite purement mercantile (on remarquera que le titre ne veut vraiment plus rien dire), on retrouve l’inspecteur Niémans (Jean Reno, dont le jeu paresseux et flegmatique devient ici presque une qualité) qui doit enquêter sur une série de meurtres à caractère religieux gravitant autour d’un mystérieux monastère, accompagné dans ses recherches par un ancien élève, Reda (Benoît Magimel, presque admirable dans sa débauche d’énergie). Et donc là-dessus, on brode comme on peut, dépouillant sans vergogne le Se7en de Fincher : on remplace les 7 Péchés Capitaux par les 12 Apôtres et on copie quelques scènes marquantes (le spectre IR sur le mur, la poursuite à pied étirée jusqu’à épuisement, un petit topo de « théologie-pour-les-nuls » dans une bibliothèque). On y ajoute donc un mysticisme bon marché et autres bondieuseries indigentes, et on va chercher les méchants à l’étranger (une habitude chez Besson), ici des allemands néo-nazis. L’ensemble est un modèle de scénario bâclé et paresseux sous-exploitant ses bonnes idées potentielles (l’utilisation de La Ligne Maginot dans un décor qui change de d’habitude, l’Alsace-Lorraine), multipliant les raccourcis faciles jusqu’à l’invraisemblance…
Encore, si le film fournissait un bonne dose de divertissement bien senti, on pourrait passer outre. Mais non, même les scènes d’actions font pitié. Olivier Dahan confirme ici ce que l’on pouvait déjà deviner après un Déjà Mort bancal ou un Petit Poucet en carton-pâte, à savoir qu’il est un plasticien compétent mais pas un cinéaste : l’imagerie du film, gothique, baroque et rouge sang est plutôt réjouissante mais dès que l’action s’excite un peu (voir l’atroce fusillade vers la fin) la caméra et le montage pratiquent l’épilepsie facile et absurde, fichant surtout mal aux yeux et aux oreilles. Seules deux scènes totalement gratuites et vaines sont à sauver : la longue course-poursuite pompée sur Se7en et Point Break, ainsi que la baston Magimel/Joe Prestia, assez brouillonne mais sur l’air du I Wanna Be Your Dog des Stooges…



Pour le reste, rien ne fonctionne dans ces Rivières Pourpres 2, tout sonne terriblement faux : quand l’enquête est bloquée, les personnages réfléchissent de façon très concentrée, et démontrent leur fantastique perspicacité en trouvant une solution d’un coup de baguette magique (on échappe de justesse au mythique "mais c’est bien sûr !!!"). Et histoire de les aider un peu, un personnage passe toutes les dix minutes pour annoncer "qu’il a trouvé quelque chose"… Ou alors quand ils sont énervés et paumés, ils tapent très fort sur une table ou un mur en s’écriant de manière très convaincante un truc du genre "c’est quoi ce bordel ??!!" : il faut le voir pour le croire (ou pour ne pas y croire en l’occurrence…). Tout comme on a du mal à croire que la pourtant mignonne Camille Natta, qui interprète la flic spécialiste en sciences religieuses et qui accompagne les 2 héros dans leur enquête, puisse jouer aussi mal : en plus de ses répliques bien ridicules, chacun de ses gestes, sourires ou même bâillements semblent surjoués au possible, un vrai calvaire…
Mais bon, à ce petit jeu, elle n’est pas la seule à ramer, la majorité des seconds rôles assure le service minimum (on n’avait pas vu Serge Riaboukine aussi mauvais depuis longtemps…) et les participations amicales de Johnny Hallyday et Gabrielle Lazure font peine à voir, dans des scènes assez improbables du point de vue de la narration, paraissant des plus artificielles. Mais la palme revient certainement au mythique Christopher Lee, apparemment perdu (ou avec des impôts à payer, comme les autres) dans un rôle de méchant inexistant, d’une fadeur absolue, écrit sur du vent, coup d’esbroufe du film consistant seulement à montrer une star qu’il ne mérite pas…
Faut dire que tout ce beau monde est bien aidé par la science du dialogue de Luc Besson, dotée d’une subtile pointe d’humour que ne renierait pas Max Pecas. Un petit exemple de réplique servie ad hoc par un policier après avoir percuté en voiture un simili Jésus : "Eh Jésus, faut rester dans les clous !". Drôle, non ? Allez, encore une autre, lors de la 1ère rencontre Magimel/Natta au chevet du malade : "- Bonjour, je m’appelle Marie. - Ca tombe bien, je vous présente Jésus". Drôle, non ? La réplique la plus marrante du film (du moins ma préférée) est pourtant involontaire, où après une heure de film, Jean Reno s’exclame en consultant ses notes et avec le plus grand sérieux : "ces meurtres sont orchestrés !!". Euh, oui, mais bon, ça paraissait évident ça, non ?

Au-delà de sa nullité, on peut d’ores et déjà constater une certaine constance dans cette triste franchise avec des conclusions en dessous de tout : le faible premier volet enterrait ses monstrueuses incohérences avec une avalanche de circonstance dans les Alpes, c’est ici une inondation dans des sous-sols qui permet de noyer le poisson. Un troisième volet étant déjà annoncé, espérons qu’un tremblement de terre engloutisse une fois pour toute cette vilaine série et que l’on n’en parle plus : les blagues les plus courtes sont tout de même les meilleures…

posted by godspeed | 18:10 |


16.2.04  

The Earth Is Not A Cold Dead Place, d’Explosions In The Sky



The Earth Is Not A Cold Dead Place

Tout commence par une guitare cristalline, égrenant quelques notes résonnant dans le vide démesuré de l’existence. Puis des battements de cœur émergent de l’obscurité. Une pulsation qui s’éveille et s’impose doucement. Puis une autre guitare dispense ses arpéges, s’entrelaçant dans la mouvance précédente. La batterie résonne, déroule et roule tel un tambour. Le tout s’harmonise et c’est le début de 45 minutes de musique uniquement instrumentale mais bourrée d’émotions variées et intenses, comme seuls quelques groupes de post-rock savent en procurer. Ce premier morceau dans son ensemble pourrait être assimilé à une renaissance, à un nouveau départ, un lever de soleil après la bataille, un espoir qui jaillit des décombres encore fumantes. Et pas uniquement à cause de son titre : First Breath After Coma. L’album précédent du groupe, Those who tell the truth shall die, Those who tell the truth shall live forever, était sorti à peine une semaine avant le 11 septembre. Et le dernier titre du disque s’intitulait de manière prémonitoire Plane Will Crash Tomorrow… Dans l’intervalle la noirceur s’est dissipée, la colère s’est ravalée et la reconstruction a démarré, lentement, patiemment. Par étapes. En alternant chevauchés étourdissantes et interludes apaisants. Mais au bout du chemin subsiste cette persistante sensation d’espoir, que tout peut recommencer, repartir à zéro et que ça sera beau. Que d’entres les nuages obscurcissant le passage vers l’avant, la lumière semble enfin percer pour nous laisser percevoir l’espoir. L’espoir…

The Earth Is Not A Cold Dead Place

Evoquant aussi bien les écossais de Mogwai et les Canadiens de Godspeed You ! Black Emperor, les Texans de Explosions In The Sky reprennent les traditionnelles formules du post-rock (alternance de crescendos dévastateurs et de plages mélancoliques) avec une puissance émotionnelle rarement entendue dans le genre. En effet, difficile de rester de marbre à l’écoute de The Only Moment We Were Alone, morceau de dix minutes à tomber par terre où chaque changement de rythme déchire le cœur ; un segment poignant, où chaque succession d’accords serre la gorge. Entre faux aplats et vraies pulsions libératrices, ce seul moment où nous étions seuls se vit comme un moment intense car unique, la tête baissée, à toute allure. Un morceau beau à pleurer, vibrant à perdre le souffle, perdu dans l’extatisme de l’instant, l’électricité devient alors le conducteur d’une émotion contagieuse…

The Earth Is Not A Cold Dead Place

Suit alors Six Days at the Bottom of the Ocean, ballade aquatique protéiforme aux changements de rythmes multiples. Bulles d’air apaisantes, plongées asphyxiantes, courants porteurs et vagues fracassantes. Quelques notes lumineuses qui éblouissent un monde de silence. L’infime perturbation de la sérénité avant de s’échouer dans les abysses, montagnes de calme apaisant. Tombés au combat dans l'espoir de trouver le repos, l’heure est alors à la commémoration. Memorial. La langueur se mêle alors au lyrisme pour le morceau le moins mémorable d’un disque pourtant exceptionnel. Le seul où la répétition d’une instrumentation minimale se fait sentir, alors qu’ailleurs elle fait des prodiges…

The Earth Is Not A Cold Dead Place

Mais peu importe. Peu importe un minime faux-pas quand le meilleur est à venir. Quand les frissons nous reprennent par la simplicité d’arpéges enchanteurs. Quand ta main dans la mienne me fait oublier tout le reste. Your Hand in Mine. Ta main dans la mienne et plus rien ne compte. Ou seulement l’instant présent. Et ce qui nous attend. Ta main dans la mienne et l’espoir perdu revient s’imposer, s’élevant à partir de trois fois rien mais de façon implacable. Une fin en apothéose qui n’en finit plus de déchirer le cœur. Une montée, encore et toujours, vers l’inaccessible, où seule compterait l’émotion pure d’une musique immaculée, détachée de tout le superflu, de tout cynisme. Une musique comme elles devraient toutes être : belle et passionnée…

The Earth Is Not A Cold Dead Place

Pourquoi ? La réponse est cachée dans le boîtier du cd :
"because you are listening".
Tout simplement.

posted by godspeed | 15:07 |


14.2.04  

Léo, en jouant « Dans la compagnie des hommes », d’Arnaud Desplechin

"Je ne veux pas que vous me donniez autre chose que votre inimitié... S'il vous plaît, soyez mon ennemi. Inimitié et haine ! Je m'épanouirai sur ce que vous pouvez faire de pire ! Plus vous me jetterez de pierres, plus j'en aurai pour vous enterrer ! Je vous aiderais, je vous donnerais toutes les bonnes raisons de me haïr…"

Desplechin, acte IV, scène 1.
Léo, en jouant « Dans la compagnie des hommes », quatrième long-métrage d’Arnaud Desplechin, émerge d’une genèse au moins aussi compliquée que son titre à rallonge. Produit dans l’ombre d’un autre film à venir (Rois et Reine, à sortir en fin d’année), séparation initiale entre deux formes distinctes (documentaire sur les répétitions et film), présentation d’une copie de travail à Cannes puis remontage pour finalement aboutir à un seul film hybride. Et diffusion sur Arte la veille de sa sortie dans une seule salle parisienne. Sans s’attendre pour autant à voir un film malade, sa finalisation semble à ce point tortueuse que l’on pouvait craindre un beau ratage, alors que ce Leo… est en fait un film assez fascinant.

Il y a quelque chose de pourri au royaume… des marchands d’armes.
Dans ce titre à triple entrée, la 1ère chose à retenir est le nom de la pièce dont ce film est l’adaptation : Dans la compagnie des hommes donc, pièce de théâtre de l’anglais Edward Bond, dramaturge contemporain mais shakespearien au possible. De toute façon, difficile de ne pas penser à Hamlet ici, dans cet univers clos et pourri de l’intérieur. Au coeur de ce drame, les entreprises Jurrieux, spécialisées dans l’armement. Au moment où son père adoptif vient d’échapper à une OPA, Léonard, fier, ambitieux et impatient de faire ses preuves, manœuvre en cachette pour prendre le contrôle d’une petite entreprise en faillite. Début d’un engrenage où entre jeux de dupes, lutte de pouvoir, conspirations, faux-semblants et mensonges, tout ne peut que mener à une tragédie…
Du strict point de vue de l’adaptation, le film de Desplechin est déjà une réussite. Bien que concentrant l’action en une poignée de lieux (la propriété des Jurrieux principalement), nous sommes à des années-lumière d’un banal théâtre filmé grâce à la fulgurance de la mise en scène où la caméra à l’épaule, dynamique et proche des protagonistes, imprime un mouvement perpétuel au récit. Certaines digressions spatiales (voiture, bois, sous-marin) ou narratives (le flash-back sur la mère de Léo ou les histoires du domestique Jonas) aèrent certes l’histoire mais le plus passionnant est dans la matière même de la pièce, drame puissant aux dialogues superbes et marquants. Transposée de Londres à Paris, c’est d’abord une fenêtre grande ouverte sur les milieux capitalistes, sur la lutte entre hommes d’affaires prêts à tout et inhumains, où trahisons et arrivisme détruisent son prochain ou soi-même, dans un monde en guerre perpétuelle. Mais c’est aussi et surtout l’histoire d’une homme, Léo, écartelé entre son ambition et son amour pour son père, puni pour sa fierté et son innocence, figure tragique et shakespearienne (Hamlet, c’est lui), piégé dans un univers qui broie les plus faibles, sombrant dans la déchéance en emportant tout avec lui…



Deuxième élément du titre, le « en jouant » ; c’est l’aspect documentaire du film, Desplechin insérant régulièrement (en s’amenuisant tout du long néanmoins) des extraits des répétitions filmées en DV : discussion autour de leurs rôles, acteurs se frottant à leurs monologues dans un entrepôt désert, appréciations et commentaires du metteur en scène… C’est un aspect du film qui surprend un peu au départ, mais qui se fond totalement dans son rythme, au gré parfois de raccords brusques au sein d’une même scène. Plus que l’aspect caché d’un travail théâtral qui passionne visiblement Desplechin depuis le précédent et splendide Esther Kahn, cette vérité nue d’un travail qui se construit petit à petit sert aussi de mise en perspective de la comédie humaine qui se trame dans la pièce de Bond : ces acteurs qui se fondent dans leurs rôles, jouant un personnage, souligne justement le mensonge profond de ces derniers dans l’histoire, qui n’ont de cesse de se cacher derrière des masques…
C’est lors d’une de ces répétitions que l’on entend Desplechin s’écrier que « ça manque de filles ! ». Beauté du work-in-progress qui voit alors l’apparition d’une Ophélie tout droit sortie d’Hamlet pour féminiser tout ça et filer encore un peu plus la métaphore shakespearienne. Anna Mouglalis, mal à l’aise, minaudante, fait ce qu’elle peut mais ne peut transcender l’artificialité d’un personnage qui s’affiche comme tel, bancal parce que n’ayant aucun réel poids dans le drame qui se noue. Cette maladresse n’est même pas un défaut au sein d’un film qui semble trop intelligent et risqué pour afficher une faiblesse comme celle-ci sans pouvoir s’en remettre. D’autant que le reste de la distribution est magistrale. Il y a Jean-Paul Rousillon, imposant patriarche épatant de force débonnaire ; Laszlo Szabo (dont c’est déjà la 3ème collaboration avec Desplechin) aussi fidèle bras droit que honteux comploteur mû par la cupidité ; ou encore Wladimir Yordanoff, souvent vu aux côtés de Bacri-Jaoui et ici étonnant en figure machiavélique blafarde et fantomatique.
Il y a aussi Hyppolyte Girardot, qui emporte le film à chaque apparition : grotesque et flamboyant, PDG déchu, loser, joueur et alcoolique, honteux de sa propre duplicité mais bouffon magnifique, chacune de ses scènes, chacune de ses répliques est un régal, en particulier sa confrontation avec Léo, sur une estrade de fortune, lui renvoyant à la figure sa propre culpabilité ("c’est cruel d’être innocent à ce point…").
Il y a la révélation Bakary Sangaré, acteur d’origine malienne, pensionnaire de la Comédie-Française, comédien shakespearien dans les mises en scène de Peter Brook ; ici, il est Jonas, ancien militaire passé en court martial devenu domestique des Jurrieux, témoin de la conspiration et de la folie des hommes, lui-même un peu fou et porteur de mensonges, de secrets et d’histoires non pas dans le ventre d’une baleine mais dans celui d’un sous-marin, faux frère et vrai damné, victime des agissements des forts jusque dans leur pulsion de mort…

Et finalement, il y a Léo. Celui qui rassemble tous les fils, que ce soient ceux narratifs, reliant ainsi tous les personnages ou ceux du titre, permettant la fusion limpide en un seul film d’un triple courant cinéma / théâtre / documentaire. Un film exigeant et malaisé certes, dans son pessimisme et l’antipathie que provoque ces hommes. Mais un film ambitieux et résolument moderne, animé d’une énergie déconcertante, objet hybride aux niveaux de lecture multiples, fascinant de bout en bout comme on en voit si peu dans le paysage cinématographique français actuel.
Léo. Léonard. Hamlet. Magnifique personnage tragique d’un fils qui en vient à vouloir tuer son père plutôt que de le décevoir. Un fils anéanti dans son âme, auquel Sami Bouajila, exceptionnel et bouleversant, lui donne une intensité dont on ne le savait pas capable. L’étonnante réussite de ce Léo…, œuvre complexe et admirable, lui doit alors beaucoup pour cette impressionnante incarnation…

"J'ai dit que je ne t'avais pas tué, père. C'est un mensonge… Tu es mort. Et moi aussi... Tu te promènes et tu respires mais je t'ai tué… J'ai pénétré à l'intérieur de ta peau. C'est là que je suis assis à présent - et tes os sont en moi comme s'ils avaient été emballés dans le mauvais paquet. Je t'ai tué pour te démontrer que j'étais capable de prendre ta place… J’ai gagné le droit de prendre ta place, je peux vivre pour toi. A qui d'autre pouvais-tu confier ta compagnie sinon à un assassin ?"

posted by godspeed | 10:02 |


11.2.04  

Give Up, de The Postal Service



Imaginez que les allemands de The Notwist aient un cousin caché aux Etats-Unis. Imaginez que sa musique électronique un peu abstraite mais limpide, aux accents pop prononcés et charmeurs, à l’écorce sensible et romantique, trouve son pendant dans un autre projet de l’autre côté de l’atlantique. Imaginez que le formidable Neon Golden trouve son complément dans un autre disque tout aussi enthousiasmant. Alors vous aurez une petite idée des menus plaisirs que distille Give Up, premier album de The Postal Service…

The Postal Service est le fruit de la rencontre entre deux hommes : Jimmy Tamborello, tête pensante du projet électro Dntel, et Ben Gibbard, leader d’un groupe nettement plus indie-rock, Death Cab For Cutie (dont le dernier album, Transatlanticism, vaut lui aussi le détour). Leur premiere rencontre sur l’album Life is Full of Possibilities de Dntel avait accouchée d’une jolie chanson, (This is) The Dream of Evan and Chen. Les deux hommes décidèrent alors de réaliser un album complet, collaborant principalement par mails (d’où le nom du groupe), où Gibbard rajoutait textes, voix et guitares aux boucles électroniques de Tamborello.

Si l’on pouvait craindre quelque chose de totalement artificiel compte tenu de son mode de réalisation, le résultat est une indéniable réussite, une pop synthétique mélodique et sensible. Les 2 premiers morceaux du disque (qui sont aussi les 2 premiers singles) donnent le ton. Sur le mélancolique The District Sleeps Alone Tonight, les boucles électroniques se superposent et s’enchaînent sur un rythme soutenu, agrémentées d’un sample discret et délicat de cordes. En plus d’un petit solo de guitare cristalline, Gibbard, avec sa voix douce et touchante, chante un texte inspiré où le sentiment de solitude urbaine domine : "I’m staring at the asphalt wondering what’s buried underneath where I am […] I am a visitor here ; I am not permanent". Sur Such Great Heights, la formule est quasiment la même sauf que les boucles paraissent un peu plus fouettées ; les paroles quant à elles poursuivent la même veine qui parcourt la majorité des chansons, se penchant sur les joies ou petits tracas amoureux au travers de situations ou d’images simples mais symboliques ("it’s thoughts like this that catch my troubled head when you’re away, when i am missing you to death").

La meilleure chanson du disque est sans aucun doute Nothing Better, un duo entre Gibbard et la chanteuse Jen Wood : lui se lamente sur son cœur brisé et semble prêt à tout pour faire revenir sa copine (et là, refrain qui tue : "tell me am I right to think that there could be nothing better / That making you my bride and slowly growing old together"). Sa copine intervient alors pour rétablir la vérité et lui demander d’arrêter de se plaindre s’il veut guérir ("your heart won’t heal right if you keep tearing out the sutures"), et que quoi qu’il fasse, c’est définitivement fini entre eux deux ("you’ve got a lure i can’t deny, but you’ve had your chance so say goodbye") ; entre naïveté et cruauté, avec des beats synthétiques un peu dépassés et quelques cordes, la chanson est une petite merveille que l’on écoute en boucle sans jamais réussir à l’épuiser totalement…

Naïveté, c’est certainement le mot qui résume le mieux l’humeur dominante du disque, anthologie de petites ritournelles confortables et touchantes. Certes, il y a certains moments plus sombres, comme sur le très réussi This Place Is A Prison, un morceau plus atmosphérique mais surtout inquiétant à souhait, où l’obscurité semble rampante et en pleine expansion. Mais les chansons candides gardent la main, dont l’évidence mélodique est des plus agréables : on se laisse dériver avec plaisir et légèreté sur Recycled Air, jolie ballade en apesanteur ("my head’s a balloon inflating with the altitude…") ; on tourbillonne aux cotés d’orgue et d’accordéon sur le virevoltant We Will Become Silhouettes. Sans oublier l’excellent Brand New Colony, morceau dynamique et entêtant, avec quelques sonorités là aussi un peu datées mais charmantes, quelques chœurs féminins, et la voix de Gibbard qui se fait particulièrement vibrante et touchante lors du refrain : "I want to take you far from the cynics in this town and kiss you on the mouth / We’ll cut our bodies free from the tethers of this scene, start a brand new colony…"

Seules quelques petites vignettes fonctionnent moins bien que les autres : Sleeping In, petite ballade candide, qui surprend néanmoins par son couplet sur JFK ; le vain Clark Gable, de très loin la chanson la moins intéressante du disque ou encore Natural Anthem, magma sonore aux trois-quarts instrumental pas renversante. Tout ceci reste un maigre motif de réclamation au sein d’un joli album touchant de naïveté et mélodiquement attachant (il suffit de réécouter Nothing Better encore une fois pour s’en convaincre). Ce ne fut sans doute pas le disque le plus médiatisé de 2003, mais ce fut certainement l’un des plus méritants. Un disque qui fait du bien...

posted by godspeed | 10:00 |
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